le premier jour du reste de ma vie
Le premier jour du reste de ma vie sera un samedi. Il fera suite à un vendredi, ce qui est normal, un vendredi qui sera le dernier jour de ma vie de travailleur.
Un samedi, ça ne compte pas dans ma vie de travailleur, enfin pas souvent. Le samedi est un jour de marché et d’apéro. Ou de découverte. Ou de maison. Ou d’amour. Ou de rien. Ou de tout à la fois. Ça dépend de l’humeur. Un samedi peut-il être un premier jour de ce qui restera ? Repoussons donc au lundi suivant. Non j’ai encore un sursis. Disons jusqu’au mercredi qui suivra mon pot d’adieu. Alors là oui, je pourrai dire que j’entre dans le reste de ma vie. Je n’aurai plus à activer les portes automatiques de la boîte avec mon badge, je n’aurai plus à enregistrer mes horaires, je ne verrai plus l’intérieur des murs vénérables, ni l’éclairage incertain des couloirs trop vastes, ni le lino vert des marches de pierre, usé jusqu’à la corde par des générations de pas que je n’ai pas connus. Mon bureau a déjà changé d’apparence. Le dessus est certes encore encombré des dossiers en cours, enfin qui pour la plupart étaient en cours à un moment quelconque, et que je n’ai jamais pensé à jeter (à archiver verticalement, comme on dit encore parfois dans les bureaux, mais de moins en moins depuis que le papier est devenu une denrée d’exception), mais les tiroirs sont vides. Ou presque. Plus grand-chose ne me retient. Je suis comme un ballon, accroché à la tâche par un fil de plus en plus distendu.
Bientôt, dans un petit mois, j’entrerai dans ce qui reste de ma vie. Autant dire dans l’inconnu.