lentement
Tout à l’heure, je suis monté en ville pour poster du courrier. J’allais lentement. À mon rythme, mais lentement. Ou à mon rythme, donc lentement. Bref, depuis deux semaines, j’ai un peu l’impression de tourner en roue libre, de me laisser porter. Les passants me dépassaient. Les passantes aussi. À un moment, je me suis surpris à marcher, toujours lentement, mais les yeux rivés au sol, le regard empli de quelques mètres de pavés, rien de plus, et je pouvais toujours croiser quelques connaissances, je n’en saurais sûrement rien. Cela n’avait pas d’importance. Je n’avais pas envie de parler. Je n’avais pas envie de rire. Je n’avais pas d’envie. Depuis ce jour redouté et toujours repoussé, qui s’est fixé un lendemain de Toussaint, je n’ai plus d’envie. Enfin presque plus. Juste celle de me lover dans les bras d’Elle. Et puis une vague envie de lire, pour tuer le temps. Ah oui, et puis l’envie de retrouver des paysages aimés. D’y marcher lentement. De les observer longuement. De m’en nourrir. De les offrir à mon père, en souvenir. J’y pense souvent. Ces jours-ci, je pense aussi à la rue de Charonne, au boulevard Voltaire, à la place de la République, ces endroits-là, marqués du sceau d’une incompréhensible barbarie. Je ne sais pas si mon père aimait ces rues ordinairement plaisantes. Nous n’en avons jamais parlé. Nous n’avions pas de raison de le faire. J’imagine pourtant que, dans sa jeunesse, il a dû les fréquenter, puisqu’il travaillait au cœur de la ville et habitait dans la banlieue est. Il a bien dû un jour ou l’autre filer à pied à travers ces quartiers populaires, à l’heure où le dernier train de banlieue était déjà parti. Je ne sais pas. Je ne saurai jamais. Je ne sais pas si j’ai envie de savoir. Je ne sais même pas si j’ai encore envie d’écrire, je me fais un peu violence.