ailleurs

On aurait pu croire que la plage nous appartenait. Nous étions seuls. Je faisais la planche. Quelques marcheurs passèrent, nous regardant de loin, à la dérobée, peut-être d’un air que j’imaginais incrédule. Les vaguelettes scintillaient. Parfois un mouvement indistinct, quelque part sur ma droite, révélait l’envol d’une bande de gravelots. Sortant de l’eau, nous n’avons même pas frissonné. Nous étions pourtant en octobre, il était près de midi et la température de l’océan équivalait à celle de l’air ambiant. Nous sommes restés assis de longues minutes sur un tronc échoué en haut de la plage. Au loin, sur la gauche, se dressait le phare des Baleines, peut-être planté à l’extrémité occidentale de notre région en passe de devenir aquitaine. Et puis, un peu plus près, des blockhaus abandonnés nous rappelèrent que les lieux n’avaient pas toujours été paisibles. Je ne sais quelle force mystérieuse, celle de la mer et des tempêtes, avait fait qu’ils se tenaient désormais de guingois, leurs masses bétonnées ridiculement enfoncées dans le sable, et peintes de couleurs vives, parmi lesquelles je reconnus les figures familières de l’art des rues parisien. Le mur de l’Atlantique se muait pour notre plaisir en exposition sauvage. J’ai pris des photos. J’étais là, bien présent sur cette plage, et je pensais à ailleurs, par exemple aux rues d’une ville que je connaissais bien. En remontant le mince sentier abrupt qui s’enfonçait parmi les oyats, j’avais en tête la couverture d’un livre dont j’ai oublié l’auteur, je me rappelais juste qu’elle était hollandaise. On voyait exactement la même impression de paysage, d’un vert tendre presque gris, légèrement brumeux, de la couleur de cette courte végétation tenace qui brave le sel et l’iode. J’ignore où et par qui avait été prise la photo du livre. Pour moi elle évoquait la mer du Nord, telle que je l’avais approchée près de Dunkerque. Encore une fois, c’était ailleurs.