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le carnet vert
11 février 2015

rougail

Une histoire pour les amateurs de lettres et d'outremer.

 

Rougail est un joli mot. Il sent bon l’air marin et le curcuma. Il sent là-bas, cette île où je suis née. Cette île que j’ai aimée. Pour moi, rougail est le bon mot. Tellement bon qu’on en mangerait. D’ailleurs c’est bientôt midi. Ce mot-là me donne faim.

Je n’ai rien trouvé d’autre.

Je n’en peux plus du gris. Ici il manque la couleur. Tout est blanc ou noir ou gris. Murs blancs et ardoises noires. Rues grises. Ciel gris le plus souvent. Les gens sont gris, je crois. La Loire aussi.

Il m’énerve, le bonhomme à côté de moi. Il tousse, il renifle, il se tortille dans tous les sens. Il griffonne puis il raye. Il roule le papier en boule. Il a éparpillé un tas de papiers en boule autour de lui. Qu’est ce que j’y peux, s’il ne connaît pas le rougail ?

Amélie, notre cuisinière, nous préparait du rougail saucisses. Ce mets était un don du ciel. Je lisais à l’ombre du mur de la cuisine, sur le banc de fer. Par la fenêtre me parvenait soudain le friselis de l’eau qui frémit dans la marmite, et aussitôt après je sentais le parfum particulier de ces saucisses fumées et très salées qu’on ne trouve que là-bas.

Je regarde par la fenêtre, tandis que les secondes s’écoulent au chronomètre. Le ciel est irrémédiablement gris. Comme toujours, ou presque. Les nuages filent à toute vitesse le long du fleuve, vers l’océan. Du coton sale et insaisissable. Il y a du vent, je suis sûre. Il y a toujours du vent. Du vent, du froid et du gris. Il ne pleut pas. C’est déjà ça.

Je suis née ici, au bord de la Loire, mais j’ai vécu dix ans sur l’île. Je suis professeur de français. J’ai postulé pour l’île. J’ai obtenu un poste à Saint-Denis. Maintenant, je serai bientôt en retraite. Pour mon ultime affectation, j’ai demandé à revenir.

Le bonhomme soupire. On dirait qu’il se dégonfle. Il m’énerve.

On pourrait jouer avec les mots. Trouver des anagrammes. Mais j’ai beau tortiller les lettres dans tous les sens, mentalement, je ne vois rien d’autre que rougail. À moins que garouil ? Dans le Poitou voisin, c’est ainsi qu’ils désignent le maïs. Je ne connais pas l’origine de cette appellation. J’ai demandé autour de moi d'où venait ce mot, j’aime bien savoir ce genre de choses, l’étymologie, par exemple, mais personne ne savait. Garouil. Personnellement je n’aime pas bien le maïs. Je ne sais pas si ce serait bon, un rougail maïs. Un rougail garouil. C’est marrant ça.

à suivre....

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Commentaires
C
Semez le garouil, et il devient rougail. Les mots voyagent et nous font voyager. Ils ne sont jamais "gris", et ils nous grisent.
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