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le carnet vert
8 décembre 2014

l'ange au sourire

Dans la chambre noire, nous observions monter son sourire. C’est ce que nous disions : monter. Du plus loin que je me souvienne, je me demande si la fille avait un nom. Elle n’était pas nom. Elle était sourire. Un genre de sourire énigmatique, comme celui de la Joconde, tu vois. En fait tu ne sais même pas si elle sourit vraiment. Et ça tu ne le remarques que lorsque ce sourire a enfin fini de monter. Tu comptes quelques minutes pour être sûr. Puis tu la fixes. Dans la lumière inactinique, tu la regardes enfin. Et tu ne sais pas si elle sourit. Elle te regarde juste, sans te voir. Et tu trouves son visage tellement beau, que tu veux en faire quelque chose. C’est ce que nous disions. On va faire quelque chose. Le sourire de cette fille, c’était sa photo à lui. Pour ma part, je ne faisais pas dans le sourire. J’excellais plutôt dans les contrastes violents et les fouillis de branchages. Et quand je dis, excellais, c’est une manière de parler, bien sûr. Je n’ai jamais excellé en matière de photographie. Ni en quoi que ce soit, il se peut. C’est juste une manière de dire que l’humain était absent de mes vues. Alors, des filles dont on ne sait même pas le nom, il n’en était pas question. Celle-ci me faisait rêver. Avec son sourire énigmatique et son air de ne pas y toucher. Un air factice. Parce qu’évidemment, si elle montait, là, dans le bac rouge, si nous la révélions, c’est qu’elle était montée ailleurs. Elle était une de ses conquêtes. Il l’avait prise quelque part, sur un lit ou sous une tente, je ne sais plus, c’est si vieux, et il me racontait fièrement ses exploits. Il parlait d’amour, de corps qui se mêlent et de poils qui s’entrechoquent. Je reproduis ses mots. Peut-être situait-il le cadre de ses rencontres intimes. Une soupente, par exemple, à laquelle on accédait par un escalier raide et branlant. Tu vois : on montait. Il parlait de campagne, je crois. De maquis, peut-être bien. Enfin d’un ailleurs, loin de nos banlieues, où j’imaginais que les corps puissent se délier facilement, y compris celui de l’ange au sourire, enfin je veux dire de la fille. J’ignore totalement si elle était rémoise. Je ne sais pas son nom. Je n’ai que son souvenir. Peut-être sur papier brillant, en noir et blanc. Le souvenir d’un sourire énigmatique, voire angélique, que nous avons arrimé, un soir de folie, au fond d’une chambre noire, aux branches décharnées d’un chêne majestueux.

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