ricochets
Je me tiens devant le seuil, immobile. L’eau rugit, comme autrefois. Mentalement j’en mesure la vitesse. Et puis je me remémore la morsure douce de la rivière sur mes chevilles d’enfant, le pied qui glisse sur la pierre gluante du barrage, la frayeur qui m’inonde de sueur. Il nous fallait de la sagesse. Avec mes cousins, nous ratissions sans fin les graviers trempés, entre deux baignades dans un bassin naturel peu profond. Les parents nous surveillaient, ils n’avaient pas tort. Quand six heures sonnaient au clocher d’Azans, nous ramassions serviettes et seaux de plastique, et nous nous en retournions vers la ville sans omettre l’arrêt à la roulotte du glacier. Mon parfum favori était l’abricot.
Aujourd’hui il m’appartient de veiller sur les miens. Assis sur les gradins de ciment, mon petit-fils jette des cailloux dans l’eau du canal. Ses ricochets échouent. Il aura bien le temps d’apprendre. Pour ma part, c’est mon oncle qui m’a appris, ici même. C’est ici aussi que j’ai appris à nager. Et que j’ai failli me noyer lorsque j’avais quatre ans. Je pourrais détester l’eau. Ce n’est pas le cas. Les enfants ont-ils su que je les entraînais dans mes pas d’autrefois ? J’aimerais en tous cas qu’ils gardent en eux le souvenir de ce lieu, même s’ils n’y reviennent jamais.