la croix
Chacun porte une croix. Moi comme les autres. Je croule sous la charge. Mes vertèbres le crient. Vingt heures passées. La maison, enfin. Dans la cheminée, il faudra ranimer la flambée. Au passage, on récupère le courrier dans la boîte aux lettres. Trier les nouvelles. À gauche les bonnes, à droite les mauvaises. C’est vite fait. Les tas sont insignifiants. J’ai reçu un chèque. Mon compte va sourire. Fausse alerte. On m’a déjà payé il y a un mois, c’est une erreur. La fatigue m’étreint. Je ne rêve que de deux choses. Un dîner frugal, là, maintenant. Il reste des galettes de céréales dans le frigo. Et du fromage. Et m’affaler dans le canapé bleu, souffler sur les braises, allumer la télé, c’est le soir du polar, raccrocher les wagons, le crime a déjà été commis, on se perd dans les méandres d’une histoire dont on a loupé le début. Je n’ai pas besoin d’autre chose. Juste souffler. Sur les braises. Et expulser un trop plein de soucis. Des fragments de croix. Faits de tous bois. Ou de granit. Ou de fougère étincelante, cueillie par brassée imaginaire sur un haut plateau, entre deux tourbières. Ou de calcaire poli par les siècles. Ou de sable rouge. Ou de lande à moitié sourde. Dans un verre je jette un cachet d’aspirine effervescente. Je suis désolé d’avoir recours à un tel expédient pour dénouer les tensions. Cela n’arrive pas souvent. La lutte contre une douleur à la fois diffuse et aigue, la sensation d’un corps à moitié fondu, d’un éclat planté à même les nerfs, juste à l’arrière du crâne. Un fragment de croix.
L’autre soir, novembre 2013