sur la route
Sur la route. Je me souviens avoir été en arrêt devant une affiche, dernièrement, tandis que nous arpentions les trottoirs de la ville. Dois-je ajouter : en tentant d’éviter les gouttes de pluie ? Parce que dernièrement… Mais, oui, tu sais bien, a dit Elle. Non, je ne savais pas. On a fait un film de « sur la route », et je l’ignorais. Je ne sais pas comment elle avait été informée de ça. Nous irons voir le film lorsqu’il passera dans notre salle habituelle, assurément. Je serai sûrement surpris de ne pas retrouver les images d’antan, celles que je me forgeais au cours de ma lecture. Ou alors, au contraire, la visualisation du film agira comme un déclencheur ; tout à coup jaillira une cascade d’images enfouies. Car il faut bien le dire : je vois la couverture du livre. Je vois ses angles émoussés, à force qu’il ait été trimballé au fond de mes poches. Je peux même affirmer que je vois la couleur jaunâtre du papier. Mais je ne peux pas me rappeler la moindre scène. Ni le nom des personnages. Rien. Je sais seulement qu’on erre en Amérique, dans les années 1950. « Sur la route » est un de mes livres cultes, comme on dit maintenant. Je sais cela. Il est devenu tel au moment même où je le lisais, parfois assis de longues heures sur la moleskine d’un troquet avoisinant le lycée, il y a de cela près de quarante ans. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’avant même d’entreprendre cette lecture édifiante, la Route revêtait déjà pour moi une importance considérable. Je suis fait de la route. Entre autres. Je n’y ai pourtant pas passé un temps plus déraisonnable que n’importe qui. Je n’ai jamais fait métier de rouler ou de marcher. Mais j’aime la route. Elle fait partie de moi. À tel point que je me rends compte qu’elle occupe naturellement mes écrits : mon roman en cours de parution ainsi que celui sur lequel je travail, de même que le texte initiatique qui ne verra sans doute jamais le jour, sauf à être remanié de fond en comble afin que mon autoportrait n’y soit point trop évident. Naïvement je me suis souvent demandé le pourquoi de cet engouement particulier pour le ruban de bitume, et même pour les cartes Michelin. La réponse est pourtant simple : entre autres métiers, mon grand-père exerça celui de représentant de commerce. La route était son univers. Et un jour, c’était peu avant sa mort et je n’étais qu’un enfant, il m’emmena en tournée toute une journée dans le Haut-Jura. J’ai vécu cela comme une sorte de rite initiatique, d’intronisation. En tant que lecteur, j’étais donc plus tard le terreau idéal pour recueillir les lignes de Jack Kerouac.