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le carnet vert
24 mai 2012

yves

Le jour où tu es parti… En vrai, on ne sait pas le jour exact. On ne sait pas quel écueil, dans cet océan de jours gris a eu raison de toi. Le jour où tu t’es élevé au-dessus de nous, disons, le seul jour des environs où la température s’est hasardée au-dessus des vingt degrés, ce devait être un signe, la lumière était si violente, avec ses prés d’un vert éclatant, son ciel bleu implacable, ses fleurs clinquantes, claquant des mille nuances du spectre, que je fus tenté un instant de cacher mes larmes sous mes verres fumés. Je conduisais, aussi me suis-je abstenu de lâcher le volant. Dans l’habitacle quelques banales conversations avortaient bien vite, tandis que nous ruisselions dans nos costumes sombres, t’offrant ainsi notre douleur, comme nous aurions rassemblé des brassées d’œillets.

Plus tard nous nous tenions debout, au premier rang de l’assemblée, désarmés, unis par les larmes. La pièce en hémicycle était claire et spacieuse. Nous nous tenions les mains en écoutant All blues, une musique que j’avais choisie dans ta collection de CD. Il m’a plu de t’offrir spécialement cette musique-là. Tu ne le sais sans doute pas, mais une de mes musiques préférées gisait dans un recoin poussiéreux de ton meuble hifi. Celle-ci me faisait osciller imperceptiblement en rythme, sans pour autant quitter du regard cette étrange boîte oblongue en bois massif et verni où on t’avait logé.

C’est comme si nous nous étions tous donné la main pour te regarder partir, soudés par l’émotion, liquides et noirs comme du charbon. Je ne sais pas ce que je dois croire. Je ne suis pas adepte de fééries et de sortilèges. Je ne cherche pas à comprendre à tout prix, à nommer l’innommable. Mais peut-être que ton âme planait avec bienveillance au-dessus de nous, comme les alouettes en été planent au-dessus des blés murs.

C’est étrange qu’il me vienne cette idée d’alouettes ; cela me rappelle des jours anciens où nous parcourions ensemble des vastitudes céréalières, assourdis par le vent, tu poussais alors une voiture d’enfant tandis que j’avais le sentiment d’avoir la tête lavée par les éléments, rendu ivre par la vitesse des nuages. Je ne voudrai garder souvenir que des images heureuses, comme cette escapade champenoise, comme nos parties de cartes du début, alors que tu étais encore un gamin et que je sortais à peine de mon costume de marié.

Une sensation désespérante de vide s’insinua en moi, je m’en souviens avec désarroi, me laissant coi et incapable d’aligner deux mots. J’aurais peut-être dû être un de ceux qui s’avancent bravement vers le micro pour tenter de dire les mots d’hommage sans trembler, sans se couper, sans succomber à l’émotion. J’aurais dû pouvoir dire ces mots-ci, pourquoi pas. Mais ils ne me viennent qu’après, alors que plus d’une semaine est passée. C’est ainsi. Mais je dis sincère, c’est bien l’essentiel. Je voudrais que ce soient des mots de lumière. Crus comme cette lumière du jour où… Je ne sais pas exactement le jour où tu es parti, l’instant définitif. Alors parlons de celui où tu jouais les alouettes, confondant les tiens avec du blé mur. Ou encore de deux jours plus tard, alors qu’une nouvelle escale de lumière s’ouvrait à nous entre deux houles grisâtres : nous étions un petit nombre à nous rassembler devant un casier de marbre, pétrifiés par la peine, t’offrant un dernier salut avant d’aller nous asseoir gravement autour d’un saladier de fraises. Un chardonneret s’égosillait quelque part dans la ramure d’un pin. Peut-être était-ce le signe que nous devions nous remettre en mouvement. Elle et moi avons cherché un vase pour y mettre les roses. Tu vois, nous sommes du blé mur mais pas encore fauché. Nous irons encore de l’avant.

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Commentaires
P
Merci à vous.
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P
Emue...<br /> <br /> Tes deux dernières phrases donnent une telle intensité à la Vie !<br /> <br /> Je pense fort à vous deux, et vous embrasse.
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C
Tu n'as peut-être pas pu prononcer ces quelques mots ce jour-là, mais aujourd'hui, tu les as si bien posés sur le clavier.Toute l'émotion est là, dans chaque ligne, dans chaque pensée.<br /> <br /> Et l'incongru du saladier de fraises à partager, coloré, parfumé,presque festif pour nous rappeler qu'on poursuit la route.
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