limousines
La chasse a été bonne. Imagine. Un gros lièvre, superbe, qui détale devant moi au détour du chemin, alerté par mon auguste foulée. Je le suivis du regard tant que je pus. Ce chemin est une véritable ménagerie. Lorsque les chevreuils n’y sont pas on y trouve des lièvres, ou des lapins, ou des faisans. J’aimerais y trouver des abeilles en bonne santé, aussi. Que nous ayons une chance de voir nos arbres fécondés. Je rêve d’une abondante récolte de fruits, afin que je puisse imaginer des mélanges épicés. Peut-être le placard aux confitures sera-t-il engorgé ? Pour ce qui est de la chasse, imagine encore : des fritillaires. On en voit fort peu par ici ; tu as beau me dire que mais si, souviens-toi, près du village voisin. Je ne me souviens de rien. Mais hier j’ai vu des fritillaires. Nous retournerons leur tirer le portrait, si tu veux : dans le couchant, au bord de l’eau, l’éclat de leur robe de pintade pourpre. Ah, et puis, que je te dise : les limousines sont au pré. Ça promet de princières fêtes champêtres. Des voitures grandes comme des péniches égaillées dans l’herbe, et on étend sur l’herbe des plaids en faux tartan, on déballe de l’argenterie et de la belle vaisselle, on tient son rang, n’est-ce pas, on a beau pique-niquer, on n’en aime pas moins le luxe. Écoute : les premières explosions, le champagne qu’on décapite, le frémissement des bulles sur le cristal… Tu me regardes d’un air perplexe, quelle mouche m’a donc piqué, pour que je délire ainsi. Mais non, rassure-toi : les limousines ne sont que des vaches, des magnifiques en livrée brune (ne te délectes-tu pas comme moi de la vision d’une entrecôte sur une braise de sarments ?), et les seules explosions du jour sont silencieuses, celles des primevères n’en finissant pas d’éclore.