gauloise
Parfois me reviennent des souvenirs du temps du noir et blanc. Parfois me viennent des images de trente ans.
Parfois j’ai l’impression que rien n’a changé. Parfois j’ai l’impression du contraire, notamment lorsque je monte sur la balance.
Je la revois. Elle.
En noir et blanc. Son profil sur un fond flou de garrigue.
La garrigue n’était ni noire ni blanche. La robe d’Elle non plus.
Nous crevions de chaud dans mon labo de fortune, alors que je développais les photos. Nous aimions nous construire des souvenirs dans les miasmes chimiques.
Sa robe était blanche à fleurs bleues, je crois.
C’était un après-midi torride de juin.
Elle plissait les yeux en regardant la garrigue. Rien que d’y penser je vois la chaleur, la lumière crue, l’odeur du thym froissé.
Elle fumait une gauloise.
Je photographiais la fumée de sa cigarette. Bleue sur fond de garrigue sombre.
Je photographiais en noir et blanc.
Mais bleu.
Comme sa robe. Comme les gauloises bleues qu’on coupait parfois en deux, lalala. Comme la fumée. Comme la garrigue.
Elle n’aimait pas le bleu, alors je construisais nos souvenirs en noir et blanc.