hirondelles
Chez nous, il est des voies ferrées partant à l’assaut des montagnes. J’ai découvert ça alors que j’étais enfant. Nous attendions sur le quai. J’aimais ça : attendre un train. J’aimais plus encore monter dans le train, m’y asseoir, et me laisser bercer par le staccato des boggies. N’allez pas croire, je me laissais bercer, ce qui ne signifie pas que je m’endormais. Bien au contraire, j’étais scotché à la vitre et je buvais le pays, littéralement.
Ce train-ci n’était pas un vrai train, il n’était pas tracté par une locomotive haletante et jetant de la suie partout : c’était un autorail. Un rouge et blanc, un pur sang. Grimper à bord était pour moi comme prendre place dans une formule 1, c’était un privilège dont je n’étais pas peu fier. J’avais huit ans.
Au début du voyage, tout est normal, ordinaire. On enjambe la rivière là où parfois nous allons nous baigner, à la gravière. L’enfant imagine l’odeur. Un parfum spécial qu’il ne sait pas encore identifier et qui est celui du saule et de la reine des prés. Ensuite on entre en forêt, puis on traverse le vignoble avant de replonger une nouvelle fois sous la futaie. On ne se rend pas compte immédiatement, on monte progressivement. Et soudain on s’aperçoit qu’on a pris de l’altitude. Le train fait halte et reprend son souffle à la station de la Savine, au col du même nom, c’est le point culminant du voyage.
Quelques kilomètres plus loin, on commence à virevolter. L’enfant ne sait plus dans quel sens on roule. Le vide est tantôt à droite, tantôt à gauche. On enchaîne les tunnels et les viaducs. On est suspendu au-dessus de la vallée. On ressent du vertige.
L’enfant est époustouflé par tant de grandeur et de beauté. Il ne comprend pas comment c’est possible. Et encore aujourd’hui je le comprends mal. L’enfant croyait à un train volant, et il n’était pas si loin du compte, puisqu’à l’heure actuelle la ligne a été baptisée « ligne des hirondelles » et invite le voyageur à une expérience hors norme. Un jour je referai le voyage de mon enfance. Serai-je impressionné ? Le TER aura-t-il le charme de l’autorail d’antan ? Vu d’en bas, on ne peut qu’admirer la prouesse réalisée par les bâtisseurs de la ligne. Vous ne me croyez pas ? Prenez donc la nationale entre Morez et Morbier. Faites-vous conduire, c’est plus prudent, parce qu’il vous faudra regarder en l’air. Avec un peu de chance vous verrez le train entreprendre des zigzags à rendre fou. Rien qu’à regarder, vous aurez le vertige et vous comprendrez pourquoi les hirondelles.