en marge
J’ai regardé dehors et j’ai pensé à des garrigues. Je ne sais pas pourquoi au juste. Peut-être parce qu’après plusieurs jours de gris visqueux le ciel a daigné rayonner. Peut-être parce que l’autre soir nous avons parlé de vacances. Peut-être parce que j’ai vu une photo dans une revue. Le pont du Gard. J’ai eu envie de pierres millénaires et de cigales.
J’ai eu envie de vignes et d’eau claire.
J’ai eu envie de senteurs de thym.
J’ai eu envie de ces buissons sauvages s’agrippant aux mollets nus, des choses épineuses et torses laissant leur trace en griffures sanguinolentes.
Je nous ai revus jeunes. Nous avions pris une consommation dans l’ombre épaisse d’un platane, sur une place de Ganges. De la porte ouverte du bar s’échappaient des bribes de chansonnettes et des senteurs immuables. À l’époque nous ne buvions pas de bière, je crois. Nous affectionnions les diabolos à la grenadine. Nous n’avions pas peur du sucre.
Plus loin, nous foncions sur une ligne droite, les vitres de la 4L aussi ouvertes que possible, ceux qui connaissent ce moyen de transport d’un autre temps comprendront. Le paysage nous semblait digne d’un western, avec des étendues rougeâtres et légèrement incurvées, et le pic Saint-Loup en vigie.
De manière compulsive nous avons quitté la route principale pour nous engager dans la traversée d’un village aux rues étroites pelotonné autour d’un mamelon rocheux coiffé d’une tour en ruine. Nous n’avions pas choisi. C’était là comme ça aurait été ailleurs. Nous avons laissé la voiture près de l’église ou du temple, je ne sais plus, partout on trouve les deux, et nous nous sommes aventurés sur un sentier comme ça, qui sentait le serpolet et le romarin sauvage, avec des branches sournoises et nos chevilles en feu. Le jour déclinait. J’ai tenté et raté une ou deux photos ; la vue ne demeure, incertaine, que dans ma mémoire.