les routes du dimanche
Nous avions parcouru ces routes. Nous le faisions le dimanche. Après le rôti et les frites et la tarte aux pommes. Pas le café. Pas pour moi, du moins. J’avais dix ans.
J’attendais le moment où enfin j’allais pouvoir me vautrer sur le siège arrière de la 203.
Mon oncle a possédé d’autres autos. Mais celle-là. La 203. Rien n’a jamais été aussi enthousiasmant. J’aimais le chant de la 203.
Nous parcourions ces routes. C’étaient souvent les mêmes. Le dimanche. Il y a longtemps.
J’avais la tête calée au coin de la vitre. Parfois je voyais se dresser la flèche. Je m’asseyais derrière mon oncle. Nous tournions à gauche.
Parfois j’étais seul avec mon oncle. Ça ne modifiait pas les routes.
Des routes de campagne. Le paysage un peu plat. Des lisières de ci de là. De grosses fermes au milieu des betteraves. Et des villages.
Les routes sinuaient dans des villages qui semblaient déserts. Les murs étaient de meulière.
Les routes étaient maculées de boue après le passage des tracteurs.
Quand on voit ces routes et ces villages, on ne peut pas deviner les vaux. Ce contraste. D’un côté la platitude des champs, de l’autre cette vallée flamboyante à l’automne, cette rivière fantasque, et les chaos.
Peut-être parlerai-je plus tard des vaux de Cernay.
Les villages semblent ne pas avoir changé. Pas plus que les routes. Tout cela paraissait déjà vieux il y a plus de quarante ans. Alors maintenant.
Je ne savais pas que j’aurais envie de parler de ça, des routes glissantes à force de boue et de betteraves, des villages de meulière tapis dans des replis de terrain, paisibles. Jolis. Je découvre que ces villages sont jolis. Je ne m’en étais jamais rendu compte. Il y a quarante ans ou plus, je ne regardais pas les villages. Je ne savais pas qu’ils étaient jolis.
Aussi suis-je effaré de m’apercevoir que je ne reconnais rien.