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le carnet vert
12 juillet 2010

tambours

La scène était une pelouse. Elle était cernée sur un côté par une série de gradins.

Il aurait fallu s’y asseoir de bonne heure, ce que nous n’avons pas fait. Nous étions donc assis sur une des marches d’accès. Les dos des spectateurs nous cachaient l’espace où se déroulerait le concert.

L’heure prévue était dépassée depuis plus d’un quart d’heure.

Quelqu’un a parlé de la demi-heure africaine. C’était pour conjurer le quart d’heure poitevin. Le retard mesuré à l’aune de la géographie.

Soudain on a entendu le bruit. La pulsation.

Nous nous sommes levés. J’étais adossé à une grille. Des branches de charme baladeuses me chatouillaient le cou.

Les musiciens sont sortis d’une grande tente, en file, en habits de parade. Vert. Rouge. Blanc. Leurs couleurs. Dix d’entre eux portaient un tambour sur la tête et frappaient la peau tout en décrivant une sorte de danse militaire.

La pulsation commençait à m’envahir la poitrine.

Ils se sont disposés en demi-cercle, face aux gradins, sans cesser de battre les tambours.

Pendant de longues minutes, la pulsation. Presque sans nuances. Un rythme fou et envoûtant. Sans faiblesse. Soit on se laisse prendre, soit on se lasse, je pense. Je me suis laissé prendre. Évidemment.

Je ne sais pas si je bougeais réellement en rythme, mais je sentais le rythme en moi.

J’ai fermé les yeux. Pour ne plus percevoir que le son.

Alors j’ai voyagé.

J’aurais pu rêver des hauts plateaux d’Afrique centrale. Ce n’était pas facile, je n’y ai jamais mis les pieds. En fait je n’ai pas rêvé d’Afrique.

J’ai voyagé en enfance. Des larmes me sont venues. C’était difficile à supporter. Il y avait ce rythme fou et endiablé, inexorable, qui ne faiblissait jamais. Et moi je donnais la main à ma grand-mère et nous allions au cimetière. Nous nous arrêtions près des voies pour voir les trains manœuvrer. J’aimais les vieilles locomotives à vapeur. J’aimais les voir cracher leurs panaches blancs. J’aimais l’odeur du charbon. J’étais fasciné par le jeu des bielles.

La douzaine de bâtons qui s’abattaient ensemble sur les peaux me rappelaient le jeu fou de l’embiellage.

Je tremblais.

Ce voyage m’avait pris par surprise et j’étais submergé par l’émotion. J’ignore si Elle l’a su. Je n’en ai pas parlé.

Nous étions dans le train des vacances. Par la vitre baissée me parvenait le souffle puissant de la locomotive. Parfois me venait un effluve de charbon. Parfois un nuage de vapeur me dissimulait la vue des méandres espiègles de la rivière. Parfois, au gré d’une courbe, je distinguais l’arrière du convoi filant dans l’ombre des falaises.

Le rythme n’a pas changé. Mais c’est le son. Il se fait plus ample, plus clair. Les musiciens transpirent. L’un d’eux, armé d’une lance et d’un court bouclier, exécute une danse compliquée face aux spectateurs ravis. Nous voici dans le tunnel de Blaisy-Bas.

C’est une chose que je n’ai jamais connue. Pourtant je la vois ainsi. Je veux dire, la conjonction d’une locomotive à vapeur et du tunnel de Blaisy-Bas, le plus long d’Europe à l’époque de sa construction. Ce n’est pas rien quand même. Quand j’étais enfant, la ligne qui passait là était déjà électrifiée depuis longtemps.

Rien que l’idée de ce cimetière, où nous nous rendions sans manquer d’aller admirer les trains au passage, ça me bouleverse. Ce cimetière où vous gisez maintenant depuis des années.

On ne sort pas indemne d’un voyage en enfance.

Le train file en épousant les courbes de la vallée. Je me grise des odeurs. J’aime le train.

Selon une chorégraphie compliquée, les musiciens changent de place, certains d’entre eux à tour de rôle exécutent une danse agressive.

Il fait presque nuit.

Je regarde les étoiles.

Un vent doux m’entoure de ses ailes.

Le train entre en gare de Belfort.

Dans un dernier halètement il s’arrête.

Les tambours se taisent.

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Commentaires
S
le pouvoir des rythmes, de la musique...
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D
Bouleversant.
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F
Joli!<br /> Bel emmêlement des mots pour souligner ce voyage mental au rythme lancinant des tambours. Tissage des sons et des images pour toile vivante.
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le carnet vert
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