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le carnet vert
4 mai 2010

le premier coup

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La vieille auto rouge s’engage dans le chemin. Un chemin, vraiment ? Hum. Deux ornières. L’herbe a poussé très haut. La végétation s’en donne à cœur joie. Nous sommes en mai.

La vieille auto rouge a cahoté le plus loin possible, là où commence le bois de sapin. Ce n’est pas là qu’on va. C’est là qu’on fait demi-tour, c’est le seul endroit possible. Les jeunes pousses de frênes raclent le dessous du châssis. Ça fait comme des bruits de déchirement.

Par la vitre ouverte, je ne cesse de capter les parfums de la forêt.

On est arrivé. On s’arrête près du tas de bois déjà formé, il y a déjà bien là une corde, non ?

Le moteur poussif se tait. Je m’extrais de mon siège éventré. Je claque la portière. Et j’écoute. Le silence. Le silence est une illusion, comme partout. Des dizaines d’oiseaux se font bientôt entendre, certains faciles à reconnaître, d’autres inconnus. Des branches des grands chênes se frottent en gémissant. Le grand vent mugit dans la cime des arbres. Si on y prête attention, on perçoit le grondement de la rivière proche, on sait qu’elle caracole parmi les blocs de granite, fantasque, parfois rageuse. Au loin on entend le moteur d’une tronçonneuse. Nous ne sommes pas seuls aux bois.

Cet instant d’oubli dure peu. Il faut se mettre au travail.

J’ôte mes lunettes afin de retirer mon pull. Me voilà en t-shirt. Il fait frais, mais ça ne fait rien, je vais vite me réchauffer.

Je remets mes lunettes sur mon nez. Ce sont mes anciennes lunettes, celles dont un verre est rayé. Elles ne risquent rien.

J’ouvre le coffre de la vieille auto rouge. Parmi le bric-à-brac, je choisis les accessoires qui me sont nécessaires. Le merlin. C’est une masse avec une extrémité tranchante. Pour les cas normaux, c’est suffisant. Les coins, pour les cas difficiles, les morceaux de bois avec des nœuds indémêlables. Deux coins d’acier bien lourds, légèrement dentés et vrillés. Tu imagines ça, qui entre dans la chair du bois. Parfois ça laisse une tache de sève, on croirait presque que ça saigne.

Il y a une grande violence dans ce que je m’apprête à faire. Une grande sensualité aussi. Mais ça ne fera de mal à personne. Un morceau de bois, c’est là pour prendre des coups.

Je n’oublie pas mes gants, sinon gare aux ampoules.

Ainsi lesté, je franchis le fossé et je me retrouve sur l’aire où gisent les arbres abattus et débités sur place en tronçons de cinquante centimètres.

J’évalue la situation. Au plus près du fossé, les troncs forment comme un carré, avec une diagonale. Je vais commencer par défaire le côté gauche du carré. Ce sont les morceaux les plus gros. Un chêne. Quarante centimètres de diamètre environ, pour le morceau le plus à la base. Je débute par celui-là. Je le redresse. Je le stabilise, voilà. Ce n’est pas toujours si évident, parce qu’évidemment le terrain est irrégulier, il est jonché de branchages et de souches. Mais là oui. Ça commence sans difficulté de ce point de vue, le morceau de bois est stable. Mais gros.

Lui aussi je l’évalue. Le morceau de bois. Il ne semble pas avoir de nœuds. Du moins pas extérieurement. Je repère une légère fente. Je la dispose face à moi. Le bois est lourd. Ce n’est pas si facile de le manipuler. Ne pas gaspiller mes forces, parce que. Je le regarde encore. Tu crois qu’il me défie ? Non bien sûr. Chacun sait ce qu’il en est. Je le jauge encore, mais son sort est scellé. Je suis face à lui. J’écarte légèrement les jambes. Je tiens le merlin au repos devant moi, la partie métallique au sol, le tranchant face à moi. Je prends ma respiration, et je le lève. Main droite au bout du manche, main gauche en appui vers les trois-quarts. Je le lève le plus haut possible, loin derrière ma tête. Et d’un coup je l’abats.

Le tranchant a porté à côté de la fente, mais n’importe, dès le premier coup le bois a parlé, comme on dit. On dit aussi parfois qu’il chante. Nous sommes à l’unisson, lui et moi. En dépit de la violence du coup. Une fente bien plus large est apparue, et je sais déjà qu’il suffira d’un deuxième coup pour qu’il s’ouvre en deux et retombe lourdement de chaque côté de la masse. Ce premier coup était un coup heureux.

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Commentaires
P
D'Hi : l'odeur, oui, essentiel.<br /> <br /> Mill ECA : Merci. Ne t'en prive surtout pas.<br /> <br /> Bleck : le bois ? il s'éclate. symaps, non ?
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B
Et bien moi également, je trouve toujours le passage par ici symaps voir de temps à autre carrèment symapsien...<br /> <br /> Le bois, qu'en pense-t-il ??<br /> <br /> Bleck
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M
Toujours aussi symaps par ici ! j'adore lire tes petites tranches de vie ! :o)
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D
Je constate qu'il y a une histoire d'amour entre le bois et toi. Il vient souvent nous parler de toi ici.<br /> C'est comme ça. Travailler le bois, le prendre, le couper s'il le faut, lui parler, l'entendre. C'est une chaleur de vivre, de partager. Et l'odeur....
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