Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le carnet vert
18 mars 2010

larmor baden

Le sommeil me déserte tant, ces jours-ci, que les yeux me brûlent bien avant l’heure. Alors j’éteins ma lampe et je pose mon livre.

Je me tourne vers toi. Je te regarde. Tu lis. Je t’ai donné goût au polar. J’en suis assez fier. Tu lis tournée vers ta lampe. Je vois ton dos ; ton petit sous-vêtement gris ourlé de dentelle ; les fines bretelles qui glissent sur ton épaule. Je ne dis rien. Je te laisse lire. Je n’avance même pas la main. Mais c’est si émouvant de te voir ainsi. Avec tes cheveux dérangés ; ta tête qui s’inscrit en creux dans l’oreiller ; ta peau pale que je sais douce.

Mais je n’avance pas la main.

Je ne ferme pas les yeux non plus. Ou alors juste quelques clignements douloureux. A cause du manque.

Au lieu de ça, je ne sais pas pourquoi, je nous revois quelques années plus tôt. Je nous revois en bleu.

Tout était bleu, je te dis.

Bien sûr que je ne dis rien, je te laisse lire. Mais je n’en pense pas moins. Nous étions environnés de bleu. Du bleu sombre de nuit.

C’est normal, répondrais-tu si je t’avais parlé, le bleu nuit, c’est parce que la nuit était tombée.

Tombé du ciel…

Justement. Le ciel. Parlons-en. A peine avions nous passé le fleuve, tu sais, par ce pont immense qui dominent une ville et ses docks, Nantes, alors que juste avant le ciel était sans nuage, tout à coup nous nous étions retrouvés sous une chape grise qui s’était tenue là, inamovible pendant la durée entière de notre séjour. Et bizarrement il faisait chaud, alors que nous approchions de novembre.

Nous avions loué une chambre dans un hôtel planté au milieu de rien. Il y avait une route, sur laquelle les autos filaient. Et rien. J’avais une impression de rien. Le lieu manquait singulièrement de chaleur humaine, dieu sait pourquoi. J’avais été bluffé par le site internet. Allons, soyons honnête. L’hôtel était bien, le restaurant aussi. Tout était professionnel, il n’y avait rien à redire. Mais il me manquait quelque chose. Le plaisir de parler avec les hôteliers, peut-être ; nous aimons bien ça, communiquer, parler de tout ou de rien, échanger des vues. Mais ce n’est pas toujours possible.

Ce n’était pas encore l’heure du repas. Nous avions le temps d’une balade. En voiture nous étions descendus (oui, il me semble que ça descendait) vers un petit port enchâssé au bord de la petite mer. Je fais le fanfaron, là, tu ne détestes pas ça, de temps en temps. Mais il faut bien que je te dise que mor bihan, ça signifie petite mer, en breton, sinon comment le saurais-tu ? Il faut bien que tu le saches, n’est ce pas ? C’est à moi de t’apprendre les choses que je sais, n’est-ce pas ? D’ailleurs tu apprends ainsi les deux seuls mots de breton que je connaisse, mor bihan. C’est joli, comme mot, bihan, je trouve. Pas toi ? Petit. Dans le temps, j’avais un copain qui se nommait Bihanic. Petit petit. Ce nom ne lui seyait pas du tout.

Pourquoi je raconte tout ça ?

Ah oui. Le bleu. Il faisait bleu, tandis que nous étions assis sur un banc au bord de l’eau. Ça bougeait à peine, ça clapotait doucement ; il n’y avait pas d’autre bruit que celui des drisses qui cliquetaient sporadiquement sur le mât d’un voilier à quai. C’est vraiment la mer ? Nous étions nous demandé. Juste devant s’étendait la masse sombre d’une île. Elle était si près. On aurait dit qu’on pouvait la toucher, rien qu’en tendant la main.

De l’autre côté du bleu, des lumières scintillaient. Nous ne savions pas bien si elles balisaient une autre île, les îles étant innombrables dans les parages, ou si c’était un contour de la terre ferme. Allons voir, disais-je. Marchons un peu. Allons dans le bleu. Tu ne veux pas croire que c’était bleu ? Regarde donc les photos. Oui, bon, on verra ça demain. Si j’y repense. Et tu me dévisageras d’un air effaré en te demandant quelle mouche m’a piqué. En attendant nous étions attirés par les lumières qui scintillaient à l’autre bout du bleu. Alors nous avons pris un chemin et nous avons marché. Je crois même me souvenir que nous l’avons fait main dans la main. Ta main fine palpitant dans la mienne. Il faisait chaud. Il faisait bleu. Tout cela nous grisait. Tu as demandé si au retour on s’arrêterait à la poterie. Avant de manger. Oui, oui, il y avait une poterie sur le bord de la route, je me souviens. Qu’y avons-nous donc acheté ? Un vase ? Un plat ? Un poisson en céramique ou un bateau ? Aucune idée, c’était pour faire un cadeau. J’ai dit ok pour la poterie, mais en attendant, le bleu, les lumières, la promenade dans le chemin, ta main dans la mienne, qui palpitait, qui me donnait des frissons. J’ai eu envie de t’aimer. Là. Dans l’instant. Près du chemin. Dans le bleu. Je t’assure, il n’y a personne, disais-je, mais tu ne voulais pas me croire. Rentrons, ça vaudra mieux, préféras-tu. Bien. Nous nous sommes aimés, alors. Dans la chambre de l’hôtel. Ça avait un gout moins salé, mais qu’importe. Nous nous aimions. Te souviens-tu ?

Je me demande si je vais encore longtemps te laisser lire…

P1020099

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Merci Valérie.J'aime bien donner le sourire.
Répondre
V
C'est un beau texte, Phil. Il m'a donné le sourire.
Répondre
P
Tj : oui, c'est tout simple, hein.
Répondre
T
Aimer.<br /> Tout est dit.
Répondre
P
Annick : peut-être. Ceci dit c'est pour la poésie du texte !<br /> <br /> Pakita, tes mots me vont droit au coeur, vrai.<br /> <br /> Aline : j'avais compris. Merci pour tes mots.<br /> <br /> Poupoune : comme j'ai de la chance de l'aimer !<br /> <br /> Paola : j'aime que tu aimes.
Répondre
le carnet vert
Publicité
Archives
Newsletter
14 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 145 947
Publicité