la grande guerre
C’est la deuxième fois que je viens à Péronne.
Nous venons là.
Nous sommes cinq. Mon épouse et moi. Un couple d’amis et leur fille.
Je ne dirai néanmoins pas nous, mais je. Il est des circonstances où on est seul, forcément.
On est seul face à son émotion.
Je me refuse à mettre des G majuscules à grande guerre.
Ce n’est pas de l’irrespect envers ceux qui sont morts.
Mais une guerre ne peut pas être grande.
Je me souviens de l’émotion de la première fois.
Je me souviens des gravures d’Otto Dix.
La guerre vue de l’intérieur.
Les tranchées, les trous d’obus. La mort. La terreur. Le désespoir.
Je me souviens du « trou d’obus avec fleurs », la seule de ses images ne montrant pas d’homme halluciné. Seulement les fleurs au bord du trou.
Cette image là, en contrepoint des autres, mais dans son genre tout aussi violente, m’avait tiré des larmes, je crois.
Ensuite nous avions visité le musée.
Puis j’étais sorti dans la cour.
Il pleuvait, c’était l’été. J’avais photographié le béton du musée dans la pluie.
J’avais parlé quelques minutes avec un bonhomme qui promenait son chien dans les fossés du château. Les picards sont volontiers volubiles.
Il pleuvait ou il pleurait.
Je mélange.
Comment peut-on être ému à ce point par des évènements vieux de près d’un siècle. Pourtant c’est ce qui m’arrive.
Je n’ai pas souvenir qu’on m’ait dit un jour qu’un ancêtre soit resté dans les tranchées. Il n’y a là rien de personnel. Ce n’est que mon émotion.
Les fleurs au bord du trou d’obus, c’était ce qu’on appelle se prendre une baffe en pleine gueule. Véridique.
Je n’aime pas trop la noirceur. Je ne déteste pourtant pas les travaux d’Otto Dix. Tout n’est pas noir dans ce qu’il a peint.
Cette fois-ci, il pleut encore (il pleure encore) et il fait froid. C’est l’hiver.
Nous ne visitons pas le musée.
Nous venons pour l’exposition. Ce sont des bandes dessinées. La guerre, aussi peu grande soit-elle, mise en bandes dessinées.
Une première partie consacrée aux travaux de lycéens, collégiens et écoliers de la région.
Je regarde ça.
Je m’attends à un nouveau coup au plexus. L’émotion est présente, en dépit de la naïveté.
Des larmes me viennent encore.
Je n’y vois aucune sensiblerie.
Comment ne pas être ému ?
Nous décidons d’aller voir sur le terrain. Les tranchées et les trous d’obus. Il n’y aura pas de fleurs, c’est l’hiver. De la neige sur les talus.