Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le carnet vert
26 août 2009

l'homme à la casquette

Les gens sont là et soudain ils n’y sont plus. C’est la vie qui est comme ça, me direz-vous. La vie continue et on ne s’aperçoit de rien.

Mais n’empêche qu’un beau jour on trouve qu’il y a quelque chose de changé, qu’il manque quelque chose au décor. Et ce quelque chose, en fait, c’est quelqu’un.

Je ne parle pas des gens qu’on aime, bien entendu. S’ils s’en vont, ceux là laissent un vide difficile à combler et on n’en finit plus de pleurer. Non, je parle des gens qui font comme qui dirait partie du paysage, les portraits familiers du quotidien, dont souvent on ne sait même pas le nom.

Ainsi se tenait debout au coin de la rue de la Regratterie celui qu’à part moi je nommais le père la casquette. Il était toujours vêtu d’un pantalon noir et d’une veste grise tous deux hors d’âge. Peut-être possédait-il plusieurs séries identiques de vêtements. En tous cas je le voyais toujours pareil. Noir et gris. Affublé qui plus est d’une épaisse barbe grise. Il se tenait au coin de la rue et tendait sa casquette aux passants tout en marmonnant des imprécations qu’il valait mieux ne pas entendre, à mon avis.

J’ai vu parfois un naïf quelconque jeter une pièce ou deux dans la casquette. Mais la plupart du temps les gens passaient en vitesse et sans un regard, s’exposant alors aux foudres de l’irascible mendiant, qui les vitupérait en gesticulant à n’en plus finir.

Vous pensez bien que personnellement je passais soigneusement au large lorsque j’apercevais le père la casquette. C’est que je n’aime pas trop être importuné par les mendiants et les colporteurs de toutes sortes. Et c’est que j’estime aussi que les sous, j’en donne déjà assez aux impôts et que ça devrait servir, entre autres, à subvenir aux besoins des démunis. En plus, si j’avais dû donner une pièce au père la casquette à chaque fois que je l’avais croisé au coin d’une rue, j’aurais dépensé une fortune. D’ailleurs il se disait en ville que ledit mendiant mendiait pour passer le temps, qu’il n’était pas du tout dans le besoin, qu’il était propriétaire de son appartement et qu’il y cachait son magot. Il se disait aussi qu’autrefois il avait été professeur, peut-être à l’université.

Je ne sais pas si tout cela était vrai. Il se trouvera toujours quelqu’un en ville pour affirmer que oui, bien sûr, mais nul ne sera capable de fournir une preuve de ce qu’il avance, c’est bien connu.

Le professeur la casquette avait donc coutume de faire la manche au coin de la rue de la Regratterie. Mais il n’y était pas toujours. Comme il n’était pas cul-de-jatte, il se déplaçait, ce qui fait que si on ne l’apercevait pas à son poste, on pouvait se demander à quel endroit de la ville on allait le voir surgir. Je l’ai même vu un jour faire la manche devant le théâtre, jusqu’au moment où il eut recueilli la somme suffisante pour entrer se délecter du spectacle.

Je m’étais habitué à la présence de l’homme à la casquette au coin d’une rue ou d’une autre, le plus souvent celle de la Regratterie. Comme plus tard je me suis habitué à son absence sans que cela me perturbe énormément. Jusqu’au jour, longtemps après, où je me suis enfin aperçu de cette absence. J’ai interrogé un camarade à ce sujet, qui m’a répondu, après que j’ai eu décrit le bonhomme, ah, lui, cela fait un an qu’il est mort, tu sais bien ! Et bien non, je ne savais pas. Subrepticement le décor avait changé et je ne m’étais rendu compte de rien.

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Syl : le constat est dur, mais c'est la vérité, non ?
Répondre
S
faire partie du décor...
Répondre
le carnet vert
Publicité
Archives
Newsletter
14 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 145 950
Publicité