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le carnet vert
13 août 2009

cimetière des huîtres

Par une voie sinuant à travers pin, un peu délabrée, un peu ensablée, atteindre une petite esplanade dégagée, au revêtement de bitume discontinu, elle aussi un peu ensablée.

S'arrêter face à un buisson d'ajoncs.

Couper le moteur. Laisser le silence emplir l'habitacle. Silence factice.

Ouvrir les portières, ouvrir grand les poumons, respirer. A son halètement lent, deviner la présence, derrière la dune, de l'eau en mouvement. Sentir son odeur. Se mettre à l'unisson du souffle régulier de l'océan.

Je disais : ça sent la mer. Le sens-tu ? Elle ne sentait rien (disait-Elle). Les odeurs sont mon domaine. Je disais ça sent la mer, c'était la réalité. C'était ma réalité. Car je ne sais pas dire des trucs convenus, comme sens-tu le parfum iodé des algues, sur la plage là en bas. Pour moi, le mot iodé ne représente rien, je ne sais pas ce que sent l'iode, si je l'employais ce ne serait que par pur artifice littéraire. Par convention.

Par une échancrure dans la dune, nous sommes descendus sur la plage. Une vaste étendue vide, étincelante, le désert sur plusieurs kilomètres. Je disais : à droite ou à gauche ? C'était sans importance, Elle s'en moquait. Nous sommes partis vers la droite, en direction de la haute digue protégeant le Fier d'Ars, qu'on apercevait dans un lointain brumeux. Nous avons marché, et marché, sans mot dire, comme portés par le halètement puissant de l'océan. Je fixais parfois de mon troisième œil les vagues s'abattant sur la grève, les ourlets d'écume s'effaçant en tremblant. Parfois nous marchions sur l'estran, et les langues de dentelle mouvante semblaient s'ingénier alors à venir nous lécher les pieds. Parfois nous marchions sur le sable sec, nous nous enfoncions à peine (je me demande à chaque fois comment marchent les gens, pour laisser des empreintes profondément marquées ; s'ils font exprès, c'est puéril et vain, le vent, le sable, les vagues peut-être en auront raison en si peu de temps). La pointe de mes chaussures projetait quelques paquets de sable, qui creusaient plus loin en retombant de minuscules puits. Comme une voie ferrée ou une route se joue parfois des méandres d'une rivière, nous passions d'un côté à l'autre de la limite extrême où la dernière marée haute avait déposé ses trésors, ici une bouteille vide, là une bouée, là encore un morceau d'une rame peinte en bleue, brisée net. Et partout, tout le long de la plage, comme un trait de crayon blanc, le cimetière des huitres.

Nous marchions en silence. Il y avait de la douleur en nous. Il convenait de laisser la mer laver nos pensées.

Peu avant d'atteindre la digue, nous avons fait demi-tour. Nous avons continué de marcher en silence. A un moment nous avons reconnu les pierres noires repérant l'échancrure dans la dune, par laquelle nous étions arrivés. L'un de nous l'a proposé, nous avions la même idée, nous asseoir un moment sur le sable et contempler le large.

Je me suis même allongé, parmi les oyats épars, au plus près de la dune. Je n'ai pas fermé les yeux. J'ai observé le ciel. Auprès de moi, Elle se tenait silencieuse, elle observait l'ailleurs.

Puis Elle a eu froid. Elle me l'a dit. Ce n'était pas étonnant, nous étions le 11 novembre. Je me suis redressé. Un couple est passé près de nous, avec un chien. L'homme avait ramassé le morceau de rame peinte en bleu.

novembre 2005

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Commentaires
P
Merci, Fabeli. <br /> L'été il y a vraiment un problème avec la foule, tu as raison. Par contre je trouve le soleil bienvenu, malgré ses excès du moment.
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F
"Ouvrir les portières, ouvrir grand les poumons, respirer. A son halètement lent, deviner la présence, derrière la dune, de l'eau en mouvement. Sentir son odeur. Se mettre à l'unisson du souffle régulier de l'océan."<br /> <br /> Toute le beauté d'une plage en hiver.<br /> Merci pour la ballade, loin de la foule et du soleil d'été.
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P
Merci, Tilleul !<br /> :-)
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P
J'aime bien ce petit goût d'écrevisse, Joye.<br /> :-)
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J
Superbe texte !!! Tu sais gâter tes lecteurs, Phil !<br /> <br /> Allez, l'iodé pour moi, qui vis si loin de la mer, c'est le petit goût d'écrevisse qu'on peut sentir sur les brises humides venant de l'océan. Et le sel, ce sont ces petites piqûres que font le vent une fois arrivée aux narines.<br /> <br /> ;-)
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