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le carnet vert
3 août 2009

café sans sucre

En faction devant la machine à café, il attend sa boisson. Il a glissé ses sous dans la fente appropriée, il a appuyé sur la touche permettant d’éliminer le sucre et il a effectué son choix, toujours le même, un café moulu, court.

Machinalement il regarde les inscriptions rouges se modifier sur l’écran digital, au fur et à mesure que la machine accomplit sa mission ; c’est alors qu’amusé il remarque que les lettres rouges, sur l’écran composent le cabalistique message suivant : SEL-

SEL, pour sélection, j’imagine. Pense-t-il.

Eh ! S’exclame-t-il intérieurement. Ce n’est pas parce que j’ai demandé un café sans sucre qu’il faut me le servir avec du sel. Le café salé, c’est dégueulasse.

C’est pour ça, pour ce sel, qu’un sourire amusé éclaire son visage. Et comme il est volontiers sujet à des associations d’idées, il pense à la Bretagne. Farfelues de préférence, les idées à associer.

Il se revoit nettement caracoler comme un cabri dans les rochers de la pointe du Raz. Il se disait alors qu’il était bien content d’avoir le pied montagnard, c’était un comble, et il ne pensait pas que le bord de mer aurait été ainsi semblable à des sentiers alpins.

La seule différence était qu’au lieu de la langue inerte du glacier blanc, à ses pieds rugissait assourdissante la turquoise écumante de l’océan.

Il avait voulu s’approcher le plus près possible du flot dangereux, et peut-être que là-haut sur la plateforme herbue son épouse lui criait de revenir, mais il n’entendait rien d’autre que le souffle puissant et désordonné de la houle s’abattant sur le granite.

Il n’était pas fou. Il n’avait guère été plus loin. Il était resté hors de portée des griffes des démons marins. Il était revenu, bien sûr. Et l’épouse avait été soulagée. Il était jeune alors, et son épousée aussi, qui souriait encore à ses fanfaronnades, indulgente. Lorsqu’il l’avait rejointe, sur la plateforme herbue, il avait encore le visage baigné d’embruns. Il s’était frotté sur elle en riant. Il voulait partager son bonheur avec elle. Elle lui avait caressé les cheveux.

Ils avaient remonté le sentier main dans la main, et flottait entre eux comme une joie enfantine. Ils étaient entrés dans un bar saisonnier jouxtant le phare, enfin du moins c’est comme ça dans son souvenir et peu importe que les bars soient ou non saisonniers et que la distance qui les sépare des phares soit élastique.

Ils avaient commandé du café. A l’époque ils le buvaient encore sucré. Ça ne les avait pas empêché d’avoir l’impression que dans ce bar on faisait le café avec de l’eau de mer, tellement ce n’était pas bon. Ils avaient ri encore, et ils étaient sortis dans le vent.

Une autre fois, quoique méfiants, ils avaient renouvelé l’expérience. Ils étaient à l’autre bout du pays, enfin de la Bretagne, dans une ville entre Lorient et Nantes. Il était dix heures et des poussières, c’était l’heure de la pause café. Ils avaient trouvé un bar près d’une halle, il y en a toujours quelle que soit la ville, et ils avaient commandé du café. Ils s’étaient dit en rigolant, tellement ce n’était pas bon, qu’après tout les bretons disposaient d’une source inépuisable d’eau de mer, pourquoi se priveraient-ils de faire le café avec ? Ainsi forge-t-on de toute pièce des réputations qui sont sans doute infondées, mais n’empêche que, encore aujourd’hui, à supposer que leur prenne l’idée d’une villégiature en Bretagne, ils auraient une légère réticence en se disant qu’ils auraient pendant tout un temps à se priver de leur cher petit noir matinal.

Sur l’écran digital du distributeur de boissons, le SEL rouge a été remplacé par une rangée de tirets, invitant par là le consommateur suivant à insérer ses sous. Il retire donc son gobelet de café du réceptacle habituel et s’en va le siroter dans son bureau. Il se dit qu’il est content d’être loin de la mer.

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Commentaires
P
Godnat, Joye : merci infiniment.
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J
Sympa de te relire, et je fais écho du com' de Godnat : Excellent !!!<br /> <br /> Un café sans sel, please.
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G
J'adore. Les chemins, détours et méandres que nos cerveaux empruntent à partir de petites choses anodines et qui nous transportent parfois si loin, dans le temps et l'espace. Excellent.
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