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le carnet vert
9 juillet 2009

départ

Ils lui avaient dit : tu verras, ce seront des vacances, tu verras, tu seras bien.

Alors ce matin, assise sur le vieux banc de bois devant la maison, elle attend.

Sa valise est posée près d’elle.

C’est une vieille valise comme on n’en fait plus, d’une matière indéfinissable rigide et striée. Marron. Du carton ? Ce n’est pas une grande valise. Elle n’a pas tellement d’affaires. Et Brigitte a dit, ne vous en faites pas, il y a la machine à laver.

Elle a aussi préparé un sac isotherme avec quelques provisions pour les enfants, du jambon, du saucisson, quelques diots, des crozets, de la tomme, des choses du pays qu’ils ne trouvent pas là-bas.

Elle a revêtu son tailleur noir. Elle porte des chaussures noires. Un foulard de soie claire égaye un peu sa mise.

Elle porte du noir, depuis que son Gérard est parti.

Elle n’a pas d’idées noires. Elle attend.

Elle lève les yeux vers les nuages qui s’effilochent autour de la dent de Rossanaz. Elle s’emplit encore une fois de son paysage immuable. En toute simplicité. Elle s’en satisfait. Elle attend.

Parfois le bruit d’un moteur la tire de sa rêverie. Elle dresse l’oreille. Mais non ce n’est pas eux. Pas encore. Elle est prête depuis longtemps, elle est en avance, elle le sait. Ce n’est en effet que l’un ou l’autre des voisins qui monte à son alpage. Ou bien des vacanciers qui partent en randonnée. Ou encore des cueilleurs de framboises.

Elle a mis deux pots de gelée dans son sac. Les enfants aiment bien sa gelée de framboises.

Au creux de la vallée, les dix coups de dix heures s’égrènent au clocher du village. La dent de Rossanaz a perdu son écharpe de nuages.

Le soleil du matin est déjà bien chaud et fait suer la terre qui exhale ses mille parfums d’herbes folles et d’écorces.

Elle se lève. Elle fait le tour de la maison une nouvelle fois, vérifie que les vieux volets de bois, récemment repeints d’un rouge pimpant, ont bien été fermés. Elle vérifie aussi l’ordonnancement des fleurs dans le tronc creusé qui servait autrefois d’abreuvoir. Elle espère qu’il pleuvra assez pour que les voisins n’aient pas trop besoin de venir arroser. Elle n’aime pas déranger.

Elle fait un tour au verger. Cette année il y aura des prunes. Et des guêpes. Quand ils viendront pour les plantes, les voisins pourront se servir. Elle le leur a dit.

Elle n’aime pas trop l’idée de partir. Elle serait bien tentée de rentrer dans la maison, d’ouvrir les volets en grand, des volets de bois peints en rouge, de se munir de son tricot et de s’asseoir confortablement dans son fauteuil, près de la fenêtre de la grande salle. Une jolie fenêtre, avec ses petits rideaux au crochet, elle en est très fière. Et parfois elle lèverait les yeux de son ouvrage et regarderait vers le sommet de la dent de Rossanaz. Elle serait à sa place.

Elle ne fait rien de tout cela. Elle attend.

Elle s’est rassise sur le banc de bois tout délavé par le temps. Elle serait tentée de s’adosser aux pierres du mur, des pierres venues de la montagne, des pierres d’ici. Mais elle n’en fait rien. Elle ne voudrait pas abîmer son beau tailleur noir. Alors elle reste bien droite sur le banc. Même si elle aurait préféré s’alanguir un peu, comme autrefois, alors que son Gérard fumait une cigarette. Une toute cousue, qu’il disait. Cela la fait sourire, de se souvenir.

A nouveau le bruit d’un moteur. L’auto bleue s’engage dans le chemin. Elle ne sait pas ce qu’ils ont comme auto, elle n’y connaît rien et les choses changent trop vite. C’est une auto bleue, voilà tout. Elle la voit déboucher derrière le gros pommier. Voilà. Ils arrivent. C’en est fini d’attendre. Elle se lève pour les accueillir. Bientôt elle ne verra plus la dent de Rossanaz.

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Commentaires
T
J'ai adoré!<br /> J'imagine bien la scène. J'en ai connu de ces braves gens si patients...
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P
Joye : merci !<br /> :-)<br /> <br /> Berthoise : on voit tout, j'aime bien que tu me dises ça. Et puis tu peux bien dire la vieille !
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B
J'aime bien cette petite scène, on voit tout, la dame, j'allais dire la vieille, son banc et aussi la dent de Rossanaz.
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J
Superbe narration, Phil, bravo !!!
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