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le carnet vert
19 mars 2009

dégâts

Je suis venu vous voir, samedi dernier. Et j’ai été déçu. Je vais vous expliquer pourquoi.

Mes parents ont reçu une superbe lettre de la mairie.

Je dis superbe, non pas pour le contenu, qui était consternant, mais pour l’enveloppe. Le luxe. Ils y ont mis un superbe logo rappelant que cette année on fête les cinq cents ans de la basilique. Très beau, vraiment. Mais je ne viendrai pas pour ces cérémonies là.

Le contenu consternant de la lettre disait qu’il fallait faire quelque chose, que la tempête de cet hiver avait provoqué des dégâts. Il y avait des photocopies de photos à l’appui, sur lesquelles je ne reconnaissais pas grand-chose.

Mon père a téléphoné à l’assurance. Ils ne s’occupent pas de ce genre de sinistre, bien évidemment.

Bref je suis venu vous voir, disais-je, c’était plus ou moins prévu. J’aime bien passer un peu de temps avec vous. Vous ne dites jamais rien, remarquez, il n’y a que moi qui cause, et encore, ça ne s’entend même pas. Enfin j’espère. Mais j’aime bien être là, près de vous. Seul avec vous. Ou alors avec Elle aussi, parce qu’elle respecte mon besoin d’être là. En silence. Que dis-je en silence. Il n’y a jamais de silence. Il y a la rumeur de la ville, là, tout près. Il y a les trains de fret qui manœuvrent non loin de là, et les express qui s’élancent vers la montagne. Et puis les oiseaux, qui batifolent en pépiant dans les haies et les buissons. Il y a beaucoup d’oiseaux près de chez vous, j’ai remarqué. Il n’y a pas de silence, comme je disais, mais pas non plus de bruits assourdissants, ni, surtout, pour que ma visite soit pour moi comme un baume, de conversations intempestives autour de nous. Généralement.

Je suis venu vous voir, mais je n’étais pas seul : mes parents m’ont accompagné. Il s’agissait de se rendre compte de visu des dégâts occasionnés soi disant par une tempête. C’étaient les mots, sur la lettre de la mairie : une tempête.

Nous avons constaté effectivement qu’il y avait eu un affaissement du terrain, juste à côté de vous. Ce n’est évidemment pas le vent qui a fait chuter une pierre aussi lourde, mais bien cet affaissement, consécutif je suppose à un ruissellement pluvieux inhabituel. Peut-être même torrentiel. Encore que la pente, assez faible, ne permette sûrement pas de tels débordements.

Je suis venu vous voir, mais je n’ai pas pu partager avec vous ce petit moment d’intimité que j’affectionne. Comme je l’ai dit, je n’étais pas seul. Et ce n’est pas facile dans ces circonstances de dire à ses propres parents, laissez-nous un peu tranquilles, ni même taisez vous ou arrêtez de toucher à tout, et c’est précisément ce qu’ils faisaient, parler et déplacer les objets, et moi ça me gênait, et c’est pour cette raison qu’en fin de compte j’étais déçu.

Je n’ai pas pu lire vos noms, sur la pierre. Elle était tombée à plat, un peu de guingois, suite à la chute de la stèle voisine. Sur la tombe gisaient des débris de la pierre intruse. Les objets en céramique qu’on met là d’habitude ne semblaient pas avoir souffert. Seul le support en fonte d’une petite plaque de marbre vous rappelant au souvenir de vos petits-enfants, dont je fais partie, avait été endommagé. Mais j’ai constaté avec soulagement qu’il pouvait quand même tenir debout.

Je reviendrai vous voir la prochaine fois, dans quelques mois, et j’espère que d’ici là les ouvriers de la ville, à moins que ce ne soit le marbrier voisin, auront pu redresser la pierre et l’auront scellée à nouveau à la tombe. Peut-être qu’il fera beau, comme samedi, et que nous serons seuls, avec les oiseaux qui pépieront sans relâche dans les buissons alentour, et qu’alors je pourrai vous raconter mes souvenirs. Parce que vous savez, depuis le temps, la ville a bien changé. Et il n’y a plus personne qui sait l’odeur qu’exhalaient les caves s’ouvrant directement sur les trottoirs de la rue Pasteur. Il n’y a plus personne qui sait distinguer, la nuit, le ronronnement du moulin, plus personne pour s’extasier de la mousse sur les murs et sur les crépis lépreux et sombres, toutes choses qui n’existent plus. Il n’y a plus d’enfant vous lâchant la main pour chercher des fossiles dans les cailloux déposés le long du mur du cimetière.

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Commentaires
F
Je suis étonnée et séduite par cette histoire en demi teinte, ce dialogue silencieux qui passe la barrière du temps et de la mémoire.<br /> Bravo!
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P
Les dernières phrases me laissent un petit goût amer... plus personne pour partager nos souvenirs, sinon nos disparus...
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