manifestation
Le sentier serpente à l’ombre des aulnes et des peupliers qui bordent la rivière. Un radieux soleil se mire dans l’eau verdâtre, faisant ainsi oublier la fraîcheur hivernale. Le flot a retrouvé son calme habituel, on a oublié la menace d’une crue possible. De ci, de là, des canards s’ébrouent en cancanant.
Mais hâtons le pas, nous ne sommes pas là pour poétiser.
Autour de nous des groupes se pressent, armés de banderoles et d’oriflammes encore sagement roulés autour de leurs manches de bois.
Cette promenade-là, entre les deux ponts, je l’ai parcourue bien avant de te connaître, affirmé-je à Elle. Elle me croit à peine. Et pourtant.
Mais n’oublions pas, fermons la parenthèse, autour de nous les groupes se pressent, et nous avançons d’un pas hardi. Déjà, tandis que nous approchons du pont Saint-Cyprien, nous percevons les remous sonores de la manifestation prête à s’ébranler, percussions improvisées, slogans savamment répétés dans les porte-voix. Cris et rires. La colère et la joie fusionnées.
A l’entrée du pont, après un baiser, nous nous séparons. Je la regarde s’éloigner vers le regroupement de sa corporation, puis je m’en vais rejoindre la mienne.
Il paraît que ce fut une manifestation réussie. C’est certainement vrai. Aux endroits dominants, on se retourne, et on regarde derrière soi, tout étonné, la marée humaine hérissée de fanions multicolores, et dont on ne voit pas la fin.
Vers la fin du parcours je m’arrête dans la côte, à un endroit dégagé au pied d’une statue et j’attends de la voir arriver. J’attends comme ça plus de trois quarts d’heure. Je suis impressionné par le monde qu’il y a. On parle plus tard de vingt-cinq mille participants. D’autres sources disent quinze mille. Vous savez bien, les syndicats et la police ne sont jamais d’accord sur les chiffres. Quoi qu’il en soit nous sommes beaucoup.
Ensemble et heureux de nous être retrouvés Elle et moi finissons le parcours et nous sommes satisfaits du devoir accompli. Car oui c’était un devoir, pour nous, d’être là pour dire (pour la énième fois, je sais bien) que nous ne voulons pas de la société au rabais qu’on veut à tout prix nous infliger.