à la grille
Pour ce qui est de la couleur ambiante, je revois du vert fatigué, des reflets orange… un peu comme si on était, disons, tiens, comme maintenant, en fin d’été, lorsque la luminosité commence à changer. C’était peut-être le cas, finalement. Fin août était peut-être ma période préférée pour m’ennuyer délicieusement en encastrant mon visage d’enfant dans un des losanges de la grille de métal pour observer les mouvements de la rue.
Le trafic n’était pas alors ce qu’il est devenu. J’avais le temps d’entendre la voiture arriver et de deviner de quelle marque elle était avant de la voir passer devant moi. Non, pas en chair et en os, mais on va dire en tôle et en pneus. Souvenez-vous : en ce temps-là les autos émettaient des sons caractéristiques qui étaient bien différents selon les modèles. Je me trompe ? Non, pourtant : je reconnaissais facilement le cliquetis des 2 cv et des Ami 6 ou 8. J’identifiais le chuintement des SIMCA aux noms d’oiseaux, Arondes ou Frégates, ou le bourdonnement léger des Dauphines et des 4cv, ou encore la pétarade comique des 203 et 403. Parfois un son plus rare retentissait, néanmoins reconnaissable entre tous, celui des majestueuses Panhard. Quant aux voitures de marque étrangère, c’est vrai qu’on en voyait peu, alors elles ne comptaient pas vraiment. Elles ne faisaient pas partie du jeu.
Dans mon souvenir, la grille qui ouvrait sur le large trottoir de terre battue était immense, enfin je veux dire très haute, en métal peint en vert foncé dessinant des losanges. Parfois un éclat de la peinture laissait apparaître un peu de minium. Et quand on l’ouvrait elle laissait entendre un grincement particulier, identifiable entre tous, et qui était comme qui dirait une sorte de sceau unique qui faisait sa singularité. Certes on voyait des grilles de même allure ouvrant l’accès à d’autres pavillons du secteur, mais je suis convaincu qu’aucune ne pouvait produire le même son joyeux, le bruit que nous faisions pour entrer chez nous.