un oubli
Des fois, j’ai peur.
Nous déjeunions en paix. Bien que la radio fût allumée. Outre la litanie des informations, la maisonnée était silencieuse. Je finissais de boire mon café, puis nous vaquions à diverses occupations, ce qu’il y a à faire dans une cuisine lorsque les vestiges des agapes de la veille traînent encore de ci de là et que nous n’avons pas pu tout ranger dans la machine à vaisselle.
La tâche était en bonne voie d’achèvement lorsqu’Elle crut bon de me faire remarquer que notre fille avait demandé, lors du repas, si quelqu’un avait d’aventure touché au magnétoscope. Parce que l’enregistrement qu’elle avait programmé était stoppé net en plein milieu, et que bon.
Je trônais en bout de table, entre deux de mes filles. Pourtant je ne me souvenais absolument pas que l’une d’elle ait fait allusion à son important enregistrement de plus belle la vie ou de quelque feuilleton similaire.
J’étais interloqué.
D’autant que je savais pertinemment pourquoi son enregistrement avait foiré, puisque c’est moi qui l’avais interrompu accidentellement. J’aurais donc dû, sinon réagir, du moins faire judicieusement l’innocent. C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs. Assenait Elle cruellement. Mince alors. Comment était-ce possible que tout ceci, certes futile, se soit ainsi évaporé instantanément de ma mémoire ?
J’étais assis à siroter une deuxième tasse de café tandis qu’Elle rangeait des trucs. Soit tu es très sourd, disait-elle, soit tu as un gros problème de mémoire, ce qui est inquiétant, soit tu n’écoutes pas ce qu’on dit. Je levais vers elle un regard implorant. Je me sentais partir en vrille. Je n’aimais pas ça.
C’est vrai que je n’écoute pas toujours tout ce qu’elles racontent. C’est vrai que la qualité de mon audition n’est plus ce qu’elle était. Mais apparemment j’avais répondu fort à propos à la question posée. Alors quoi ?
Je me suis levé, je me suis habillé et je suis parti faire mon footing dominical. Mais le doute continuait de me tarauder insidieusement, et continua ainsi toute la journée.
J’imagine que le mystère restera entier, alors je le confirme, des fois, j’ai peur.