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le carnet vert
16 juin 2008

demain il pleuvra

Il est des instants, rares, où j’éprouve le sentiment inhabituel d’être immobile, d’avoir enfin posé mes valises.

Des instants rares et brefs.

J’ai encore en tête l’image d’une vieille ferme réhabilitée, perdue au milieu de nulle part. Une route minuscule y mène, qui s’élève un peu au dessus de la vallée. On a fauché les bords pour la circonstance.

La vieille ferme a été transformée en atelier d’artiste. C’est jour de porte ouverte. Le maître des lieux est-il celui qui occupe le plus de place, dans un immense hangar de pierre où il creuse d’énormes morceaux coupés dans de vénérables châtaigniers, dont il peint ensuite l’intérieur d’une couleur vive ? Je l’ignore. Une femme explique au gamin que la couleur attire le soleil. (C’est quoi, ça, demandait-il)

Dans d’anciens réduits à cochons aux murs blanchis on a accrochés des photos. Je devrais me sentir inspiré, peut-être, mais la mode est au flou, au désarticulé, au superposé. Cela m’indiffère.

Mon œil s’éloigne des œuvres. Je n’ai pas envie de comprendre. Je ne ressens pas. Je préfère m’attarder sur les ferrures patinées par les décennies d’une vieille porte de grange. Un rayon de soleil fugitif fait ressortir les veines rugueuses du bois. J’imagine l’image. Je dis qu’autrefois j’aimais capter les ombres portées des ferrures de vieilles portes. Elle acquiesce, Elle se souvient. Autrefois.

D’autres images me tentent. Je pourrais capter par exemple les nuances rougeâtres des écorces gisant en tas dans le hangar atelier du sculpteur. Je pourrais capter cette étonnante rose trémière qui s’élève dans l’ombre d’un cerisier, à une hauteur prodigieuse, plus de quatre mètres, je n’ai jamais vu ça. Je pourrais capter les croix peintes à la chaux de chaque côté de l’entrée de la maison. On en voyait partout dans toutes les fermes des environs, autrefois.

J’ai ces images en tête, fraîchement vernies, tandis que d’un œil je surveille les grillades qui brunissent lentement sur la braise.

Je suis immobile, j’ai ce sentiment. Je me suis posé là, sur l’herbe tondue, vaguement à l’abri de la fumée que le vent ne se décide pas à diriger franchement d’un côté.

La campagne bruisse. J’entends des oiseaux pépier. J’entends glousser les poules du voisin. Le gamin cueille des framboises et de loin en loin nous en porte une à chacun. Au fur et à mesure de sa récolte, elles sont de moins en moins mûres. On les savoure quand même. Il est content.

Deux jeunes chats se poursuivent en sautant dans un tas de foin laissé là. C’est rigolo. Ça fait rire les enfants.

Au loin, derrière les haies, on aperçoit l’autoroute. On entend le vrombissement des autos qui se suivent en un mouvement lancinant.

Je me détourne de ce spectacle incongru pour savourer le verre de pineau que j’ai en main.

Les grillades seront bientôt cuites. Nous avons gagné la partie, ce soir : de gros nuages noirs sont passés sans dommage. Vers l’ouest le ciel se pare d’un gris uniforme.

Demain il pleuvra.

Tant pis. Ce soir je savoure un instant de bonheur. Un de ces instants où on à posé ses valises pour s’arrêter enfin, même brièvement. Un instant où on a l’impression d’être immobile et d’être bien.

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Commentaires
P
Heureux homme;-)
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F
Du Pineau! mmm! Mais chez nous, pour les grillades en extérieur c'est pas encore ça! Demain peut-être...
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S
Phil, quelle drôle d'idée que celle-ci !
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P
TJ, je crois que nous avons une façon proche de ressentir les choses, de profiter des moments.<br /> Syl, serait-ce que nous ne sommes pas en adéquation d'habitude ?
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S
Nous sommes en adéquation aujourd'hui, sur le bonheur. <br /> Savoir profiter de ces instants, les voir, les ressentir et les vivre... ces ilots qui parsèment notre chemin, c'est sûrement le bonheur. A nous de savoir y accoster.
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le carnet vert
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