une saine jeunesse
Nous chantions et nous dansions.
Nous ne buvions pas.
Nous fumions peu.
Ah quelle saine jeunesse !
Les soirées du samedi se passaient comme ça, dans la bonne humeur. Nous nous observions parfois à la dérobée. Fille et garçon. Un émoi passager empourprait nos joues.
Nous restions sages.
Des doigts parfois se nouaient en secret. Des couples se formaient. De gentils couples promis à un avenir commun. Dieu les surveillait.
Nous chantions et ne buvions pas. Cela me convenait.
Cela me suffisait.
Le désir était ailleurs.
Les soirées ne finissaient pas tard. Dans les appartements, des parents veillaient.
Quand venait le moment de se séparer, je serrais les mains des garçons, je déposais de chastes baisers sur les douces joues des filles. Deux sur chaque joue, c’était le tarif régional.
Alors j’enfourchais mon cyclomoteur.
Je m’élançais sur la route.
La route. Je roulais sans but pendant une heure ou plus, dans des rues lugubres et souvent pluvieuses. Je me laissais griser par le vent de la nuit.
Je sentais qu’il y avait là un terreau pour les poètes méconnus.
Et de fait, sitôt dans ma chambre, encore transi, je m’asseyais à ma table tandis que minuit sonnait, et je noircissais du papier.