petit matin
Le déjeuner est prêt. Il est bientôt six heures et demie. En attendant qu’Elle émerge, je regarde par la fenêtre de la chambre.
La vue englobe la campagne qui s’éveille, la masse sombre des grands arbres qui longent le ruisseau, le coteau couvert d’un fouillis de chênes rabougris et de broussailles indistinctes, le bas du village encore chichement éclairé par quelques réverbères.
Mon champ de vision se rétrécit ensuite, saute le vieux mur de pierre et vient s’attarder sur le jardin. Je m’amuse à découvrir les différentes nuances de vert. Je me dis c’est mon domaine, et je m’en émerveille. Ces verts sont magnifiques et je les ai façonnés au fil du temps.
Je n’ai pas encore mis mes lunettes. Je ne distingue que de grandes masses. Le vert cru de la pelouse tondue il y a quelques jours, un vert lumineux, mais pourtant plus terne que celui de la masse sphérique du viburnum à la floraison en promesse. Encore plus terne, même, que celui des branches élancées de mes poiriers que j’espère être passés sans dommage au travers des récentes gelées de printemps. Et puis il y a la tache tirant sur le bistre formée par le mahonia, et puis aussi celle très sombre, encore dans la nuit, du gros laurier odorant.
Cette vue m’emplit d’aise. Malgré le temps gris, malgré le vent qui ploie les peupliers, la journée démarre sous de favorables auspices. Elle se lève enfin. Je lui souris. Nous descendons déjeuner.