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le carnet vert
27 novembre 2006

l'oeil au vert

Ce n’est pas loin de la maison. Vraiment pas loin. Un petit quart d’heure à pied. Et encore, en flânant quelque peu. Il suffit d’enjamber la ligne du RER, au bout de la rue, de tourner à gauche, un peu plus loin on passe devant l’arbre… Ah l’arbre. Il vaudrait presque un billet à lui tout seul. Une curiosité cet arbre. Je le remarque à chaque fois que je passe là. Je réalise là tout de suite maintenant à l’instant que je ne suis même pas capable de dire de quelle essence il est. C’est que je n’en regarde pas souvent les feuilles, non, c’est le tronc qui m’intéresse, la base du tronc, même. L’arbre a pris racine au coin de deux immeubles, sur le trottoir, dans un minuscule triangle de terre fermé de quelques dizaines de centimètres de bordure métallique, et ses branches maintenant partent à l’assaut des étages, caressant les fenêtres sans que quiconque paraisse s’en soucier. On a l’impression qu’il a pris racine là, dans cette rue de la ville, de sa propre volonté, indépendamment de toute considération rationnelle. J’ai cette impression, devrais-je dire, et alors je me disperse instantanément en rêveries, je m’assimile à mon copain végétal, mes racines, moi aussi j’en ai planté une partie dans le terreau de cette ville, volontairement, sans que quoi que ce soit m’y prédispose.

Continuant notre périple, nous versons une larme symbolique sur le magasin des « nouveautés » qui s’apprête à baisser le rideau définitivement. Cette échoppe où on trouve tout ce qui est textile et mercerie, sa vitrine surannée, tout est resté tel que du temps de son enfance, affirme Elle. Ça, c’est comme un bout de racine qu’on coupe, précisément, et voilà qu’on s’imagine avec les doigts noircis par des traces de latex (je pense à ça parce que je viens de rempoter le ficus caoutchouc de ma fille n°2, et que justement j’ai coupé des racines aériennes qui jaillissaient du tronc).

Chemin faisant nous passons sous le périph, puis nous longeons le stade Charléty, pour l’heure on s’y entraîne à un jeu de balle, il y a des cris épars, et des coups de sifflet stridents. Au carrefour nous constatons que les travaux du tramway sont quasiment terminés, l’œil porte maintenant de chaque côté de la porte de Gentilly sur une longue perspective futuriste et engazonnée.

Nous nous engageons dans la rue de l’Amiral Mouchez.

Que faisons-nous dans cette rue ? Il y a là, entre les deux premiers arrêts du 67, quelques commerces que nous voulons montrer à notre fille n°3, précisément parce que ce n’est pas loin : la boulangerie (qui fait d’excellentes baguettes, parfaites pour le petit déjeuner), le traiteur asiatique, dont nous venons de tester avec plaisir quelques unes des productions, et « l’oeil au vert ».

L’œil au vert. Une enseigne pareille ne peut qu’inviter d’urgence à l’évasion et à la digression.

L’œil au vert. Une enseigne qui pourrait être celle de mon recueil de notes. Mais gardons notre carnet vert, évitons la friture, ah ah ah.

L’œil au vert. L’œil ouvert. Le gauche, le droit, le troisième, celui que je trimballe dans mon petit sac à dos jaune, sorti de sa sacoche, prêt à enregistrer sur la carte mémoire l’instant, le rythme des courbes, des obliques, des parallèles, l’éclat des couleurs. Le gauche, le droit, même sans troisième. Voir.

L’œil au vert. L’œil en escapade, l’œil en vadrouille, vers des ailleurs rieurs, vers des ailleurs verts. Je vois déjà la pulsation sans fin d’écumes salées s’abattant sur des sables brûlants, de blés en herbe oscillant dans le vent, miroitant sous des ciels changeants.

L’œil au vert. La boutique est verte, évidemment. Sur la vitre de la vieille porte de bois nous lisons que le lieu est ouvert sans interruption de 10 heures à 20 heures, du lundi au samedi. Quelle aubaine ! Fille n°3 insiste soudain pour entrer, ce n’était pourtant pas prévu. Mais comment résister ? je la comprends. Nous poussons la porte. Je ne sais plus s’il y a ou non une sonnette qui fait ding. Un homme affable nous salue, affairé derrière son comptoir. Une musique de jazz emplit l’espace. Du piano. C’est la radio, mais il y a un rayon disque, petit, dans le fond du magasin, du jazz, du blues, des musiques du monde, une intégrale de François Béranger, rien que du bon. Et des livres. Des livres surtout. On est dans une librairie. Des quantités d’ouvrage qu’on a envie d’acquérir sur le champ. Il y a encore tant de choses à lire. Il y a un petit espace presque fermé, consacré à la littérature de jeunesse, aux albums. Elle s’y attarde, elle s’y délecte, elle y trouve son bonheur. Bientôt les enfants auront droit à une nouvelle lecture. Je serai (ou Elle sera) assis sur le lit de la chambre jaune, là ils dorment quand ils viennent à la maison, la Petite à ma gauche, le Gamin à ma droite, ou l’inverse. Ils se tortilleront comme des anguilles, je le sais, mais seront néanmoins toute ouie. Il y a un rayon dévolu aux livres de poches, les livres sont plus ou moins présentés par collection, et voila que je découvre des collections que je n’avais jamais vues jusque là, regroupant les écrits d’auteurs dont je n’ai jamais entendu parler, étrangers pour la plupart. Je farfouille dans les autres présentoirs, mais je sais que je reviendrai à cette collection inconnue d’auteurs inconnus, pour voir. C’est fou, on croit connaître assez bien un domaine, la littérature, et on s’aperçoit bien vite avec humilité qu’on ne sait rien, ou presque, qu’on est tout petit.

Bref l’œil au vert est une mine. De plaisir en perspective. Quand même, il y a un inconvénient de taille : ce n’est pas loin de la maison. Vraiment pas loin.

oeil_au_vert

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Commentaires
P
et ben à l'occasion tu m'expliqueras ce que sont les flux rss et comment ça marche parce que je l'ignore.<br /> :-)
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P
Il semble que le flux RSS de canalblog ne signale plus les derniers articles de mes blogs préférés. J'ai rattraper le temps...<br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> P@sc@l
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P
d"où l'inconvénient que je dis !
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S
Voilà un endroit qui me plaît...le pb c'est que, quand on rentre dans un tel lieu, on ne sait pas si on arrivera à en ressortir sans avoir donné une grande claque à son argent plastique (comme disent les belges)
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