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le carnet vert
7 mars 2006

nocturne

p1000651

Le pianiste s’incline pour saluer l’assistance. Il annonce que l’œuvre qui va suivre est typiquement romantique, et par là donc inévitablement tragique. Il suggère que les trois parties qui la composent évoquent successivement le tourment, l’apaisement et l’anéantissement. Il s’installe au clavier et repousse le micro. Ses mains s’abattent sur les touches et les premières notes s’égrènent.

C’est un nocturne de Chopin.

Je regarde un instant une nouvelle fois à l’extérieur. Par la vitre je vois la neige tomber sans cesse à l’horizontale, poussée par le blizzard de cette soirée. Je m’en moque. Je suis résigné. Je suis passé au-delà du découragement face à cet hiver interminable.

Je ferme les yeux. Non pas que la musique m’endorme, non. J’aime bien Chopin, en plus, même si je sens que le musicien, peu habitué à la scène, est encore tendu. Mais fermer les yeux est mon geste spontané lorsque je veux me laisser envahir par les notes. Alors les images viennent. Des images de montagnes, allez savoir pourquoi, avec des torrents qui dévalent les pentes en cascades. C’est idiot parce que des roulements de tambours et des fracas de cymbales seraient alors plus adaptées que les envolées cristallines du piano. Mais bon c’est comme ça : je vois des cascades. Alors je me force un peu, je veux orienter ma pensée, le monsieur a dit que la musique est tragique, alors restons en montagne, soit, mais imaginons des rocs acérés, des chaos glaciaires sous un roulement continu de nuages sombres, imaginons que nous sommes par exemple dans un tableau de Caspar-David Friedrich, comme celui qui ornait la pochette d’un 33 tours que je possédais autrefois, une symphonie de Richard Strauss. Croyez-vous que ça marche ? Non bien sur. Le compositeur a beau l’avoir voulue tragique, le pianiste a beau s’évertuer à la jouer comme telle, pour moi cette musique est apaisante, oui, et évocatrice de tendres images printanières. D’ailleurs la cascade du début s’est maintenant muée en un fluet ruisseau serpentant dans de grasses prairies verdoyant sous un ciel bleu, on dirait que ce serait une des multiples rigoles qui sillonnent les douces pentes du sommet de Finiels, pour se rejoindre plus bas et former une large rivière nommée Tarn.

Une œuvre appartient aussi à celui qui l’écoute, de même que la poésie est le bien autant de son lecteur que de son auteur. Et chacun, scrutant les notes, lisant les mots, admirant la couleur plaquée au couteau sur la toile, transforme l’œuvre pour lui-même, l’adapte à ce qu’il est.

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Commentaires
P
MuMM : bienvenue !
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M
Malgré leur "romantisme" à tout crin, à tous deux, les envolées de Friedrich et la retenue de Chopin doivent composer un tableau mental fort contrasté ; très beau texte.
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P
étonnant, donc, ce qu'a dit ce pianiste
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S
J'aurais la même avis que François.<br /> Si ce n'est que j'écoute Chopin par les doigts de Stanislav Bunin....et il m'apaise.
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P
François : nous sommes donc bien d'accord.
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