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le carnet vert
6 mars 2006

bologne

Je n’avais pas vingt ans. Ni même encore mes dix-huit. Quoi qu’il en soit, comme l’écrivait Paul Nizan, je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Mais c’était l’âge des expériences et des découvertes.

Avec un acolyte de ma classe de terminale, nous nous étions postés sur la bretelle d’accès à l’autoroute, et nous avions levé le pouce. Direction le sud. J’étais muni d’un sac de voyage d’un blanc pisseux, pas du tout conçu pour l’auto-stop. Mon compagnon de route était un petit blond grassouillet et exubérant, à l’allure efféminée, qui affichait de façon ostentatoire son homosexualité. Je n’avais rien contre. Je n’avais rien pour non plus. Ce n’était pas mon problème. Il suffisait qu’il me foute la paix. 

Le premier automobiliste à nous prendre en charge était un jeune homme pilotant une petite Austin noire, un pot de yaourt comme on disait. Je crois qu’il nous conduisit jusque vers Fontainebleau.

En ce temps là le mot voyage avait deux significations, le déplacement physique d’un lieu à un autre, de préférence exotique, et le voyage intérieur facilité par les effets plus ou moins désastreux de substances variées et toxiques. Dans ce domaine il s’échangeait pas mal de choses dans le lycée ou ses environs proches, et les expériences allaient bon train. C’est dans cet esprit que le petit gros avait pillé l’armoire à pharmacie de ses parents et que, chemin faisant, nous nous gavions de comprimés de… De quoi ? Je n’en sais même rien. Je ne me souviens pas des détails de ce début de voyage. Je crois même que ma mémoire a délibérément zappé quelques heures qui sont demeurées comme des pages blanches.

Rétrospectivement je frémis. Je me revois sortir en titubant des toilettes d’une station service, sur une aire d’autoroute. J’avais peine à tenir sur mes jambes. La conductrice qui nous véhiculait s’était arrêtée pour faire le plein d’essence, et avait tenu à nous laisser à cet endroit, bien contente, j’imagine, de se débarrasser de passagers trop encombrants et inquiétants. Je ne sais pas si c’est fortuit, ou si nous étions d’une manière ou d’une autre réellement inquiétants, toujours est-il que nous nous sommes soudain trouvés aux prises avec les gendarmes. Qui nous expulsèrent manu militari de l’aire d’autoroute, non sans avoir verbalisé. Il faisait nuit, alors, et il pleuvait. Je tremblais de froid et de trouille et d’effets indésirables des saloperies ingurgitées. Je me disais déjà que tout était foutu, que les gendarmes allaient nous embarquer, que nous étions dans de sales draps. Concernant le dernier point : certes. Les gendarmes quant à eux se contentèrent de nous filer un bout de papier avec le motif de l’infraction : circulation de piétons sur l’autoroute. Et de nous montrer un vague chemin qui menait à la nationale 6 : là-bas on avait le droit de faire du stop, ou de marcher à pied, au choix.

Nous avons vaguement dormi sous l’abri d’un arrêt de car. Puis à tour de rôle nous avons dressé le pouce. Un petit camion bleu s’est arrêté, qui rentrait sur Lyon à vide. On nous fit monter sous la bâche, à l’arrière. Plus tard je me suis réveillé dans un état semi comateux. Nous étions à l’arrêt. Le jour se levait sans conviction, je l’ai vu quand quelqu’un a soulevé la bâche. J’ai voulu re-sombrer mais on m’a secoué l’épaule. Un type que je n’avais pas encore vu me montrait le couple qui ahanait dans le sac de couchage du petit gros. Il était avec le chauffeur du camion. Selon l’imagerie habituelle, je dirais que mes cheveux se sont dressés sur ma tête. J’ai fait comprendre au type que je n’étais pas de ce bord. En espérant que ça lui suffirait. Ce qui apparemment fut le cas. Ouf.

Encore plus tard nous sautions au bas de ce camion poussiéreux. Nous découvrîmes que nous étions derrière la gare de Perrache. La suite immédiate ? Ben je n’en sais rien.

Dans l’après-midi il faisait beau. Je revois une route sinueuse s’enfonçant dans des gorges sauvages, je revois Nantua se mirant dans son lac, je revois les montagnes enneigées se dresser devant nous.

Dans la suite de cette équipée aventureuse, rien de particulièrement effrayant ne se produisit. Je nous revois palabrer sans fin et boire des cafés toute la nuit dans une station service ouverte, au Fayet. Le pompiste nous avait pris à la bonne, de même qu’une serveuse d’un hôtel voisin, qui souffrait d’insomnies. Je revois le soleil se lever sur le versant italien du Mont Blanc, je nous revois errer dans les banlieues de Milan. Je vois encore de fugitifs clichés mentaux de Bologne, de Florence, de Pise, de Lucques, de Gênes. Je me revois tenter de dormir sur une plage de Savone, bercé par le doux halètement d’une mer calme. Je me revois sur les hauteurs de Nice alors que la nuit tombait et que mes narines se gorgeaient des puissants effluves des conifères. Quand je retrouverais cette odeur caractéristique ailleurs, je me dirais que ça sent Nice. A Antibes nous avons encore dormi sur une plage. Puis j’en ai eu marre de l’autostop. J’ai abandonné le petit gros à ses délires, une fête à la noix je ne sais où. Je suis rentré en train à Paris.

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Commentaires
A
Eh ben, quelle aventure ! :-) (Sourire rétrospectif !)
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S
Ah ça, j 'en reste coite. Enfin, presque. <br /> Je comprends ce que tu voulais dire à propos de tes souvenirs italiens.<br /> <br /> Et oui, je crois aux anges gardiens....
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