voyages
Il advint qu’en songe viennent m’envahir les couleurs chatoyantes des étoffes et des ciels et des déserts.
Il advint que mes pieds foulent virtuellement la terre poussiéreuse des steppes et le pavé des quais.
Il advint que de chaudes fragrances enivrent mon imaginaire.
Il advint que de douces mélopées m’envoûtent en silence.
C’était il y a longtemps.
Je croyais alors que je voyagerais.
J’en avais envie. Vraiment.
Je me munissais d’atlas. Je parcourais d’un regard avide les étendues vertes des plaines. Je déchiffrais les noms des fleuves et des villes, je les retournais sous ma langue bien plus de sept fois avant de les prononcer silencieusement.
J’imaginais des merveilles, des palais de mille et une nuits, des richesses pharamineuses, des contes réalisés. Le mystère se nommait Samarkand ou Boukhara. Et cela embaumait l’encens.
J’imaginais des mers d’huile sous un soleil de plomb et des siestes obligées à n’en plus finir, juste troublées par les sauts des exocets.
J’imaginais le pavé luisant des ports et les cris des dockers parmi les masses formidables des navires.
J’imaginais de hautes passes sous des sommets éternellement scintillants de glace, qu’on atteindrait par de vertes vallées peuplées d’abricotiers en fleurs.
Je lisais parfois les récits de Nicolas Bouvier ou d’autres voyageurs.
Je me disais, moi aussi je pourrai décrire cela un jour.
J’échafaudais des itinéraires. J’aurais suivi l’épine dorsale de l’Amérique, de l’Alaska jusqu’en Terre de Feu. Je me serais évanoui dans les prairies infinies de l’Asie centrale. J’aurais planté mon étendard sur le pôle nord.
C’était il y a longtemps. Avant que je te connaisse. Avant que des enfants naissent.
Pour me mettre en jambes, comme on dit, je projetais de faire le tour de la Méditerranée. C’était une idée comme une autre.
J’aurais pris mon envol à Aigues-Mortes. Parce que j’aimais voir les pyramides de sel étinceler sur l’horizon. J’aurais pris pied sur le fériboate du vieux port de Marseille, sous l’œil bienveillant de la bonne mère. J’avais toute une imagerie pagnolesque à ma disposition. Sur la baie de Saint-Mandrier j’aurais vu glisser des ferries hauts comme des immeubles. Ça aurait senti le maquis. J’aurais déambulé dans les ruelles malfamées du port de Gênes. J’aurais escaladé les pentes fumeuses de l’Etna. Je me serais grisé au retsina. J’aurais vu le soleil se lever sur le Bosphore. J’aurais visité Chypre, parce que le nom de cette île me plaisait et qu’il me rappelait une eau de Cologne qui trônait sur une étagère de verre, chez le coiffeur. J’aurais cherché des roses des sables. J’aurais cherché le phare d’Alexandrie. J’aurais déchiffré des hiéroglyphes. Je me serais gavé des parfums musqués des souks de Tunis et de Tanger. J’aurais trouvé de l’ombre dans les orangeraies de Murcie. J’aurais gobé des anchois sur le port de Collioure…
C’était il y a longtemps.
Et le temps s’est écoulé inexorablement.
Nos pas ne nous ont pas portés plus loin que les pays voisins. Mes rêves d’ailleurs se sont estompés et peut-être prendrons nous bientôt le temps de les réveiller. En attendant nous avons préféré nous fabriquer des ici.