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le carnet vert
4 février 2006

le comble

Il y eut un été où mon oncle s’est retrouvé propriétaire d’une DS jaune. Bien évidemment ce n’était qu’une vieille bagnole d’occase, comme toutes les bagnoles que je lui ai connues. Mais quand même : une DS jaune. Toute auréolée du prestige dû aux DS et aux ID quelle que soit leur couleur. Vous savez ce qui se disait dans les cours de récréation, à l’époque, et qui déclenchait de timides rires à la limite du sacrilège ? Vous ne vous souvenez pas ? L’un de nous demandait d’un air finaud à ses camarades quel était le comble du garagiste. Et la réponse suivait ainsi, déshabiller une DS pour s’en faire une ID. Mouais. Donc mon oncle était propriétaire d’une DS. Ou d’une ID, après tout je n’en sais rien. Mais jaune. Ça oui, je m’en souviens. En était-il propriétaire, d’ailleurs ? Je n’en sais rien non plus, et il est permis d’en douter, disons qu’il était titulaire d’une Citroën jaune prestigieuse. Disons aussi que le dimanche il parcourait tout faraud les routes du département en pilotant son carrosse. Avec ma tante à ses côté. Et une kyrielle de mômes entassés sur la banquette arrière : mes cousins, ma sœur et moi. En ce temps là on ne comptait pas, il n’y avait pas de ceinture. C’était un été sec, je suppose. Ou du moins il faisait beau. Et chaud certainement. De cette chaleur étouffante qu’il fait volontiers dans le pays, et alors les gens se dissimulent derrière leurs volets clos. Nous allions donc nous baigner, dans la soirée, afin de ne pas rougir comme des écrevisses. Mais pas aux bains sur le canal Charles Quint, c’était trop facile, et il y avait trop de monde. Et puis ça n’aurait pas valu le coup de prendre la voiture, on y allait à pied. J’aurais eu quelques années de plus, si j’avais eu à choisir, j’aurais opté pour les bains, parce qu’il y avait tout le temps des filles qui se prélassaient sur l’herbe rase. Mais pour l’heure j’étais encore bien jeune et c’était le cadet de mes soucis. Nous allions donc aux gravières. Ça permettait à mon oncle de montrer sa DS jaune. Que mon grand-père suivait de loin en ronchonnant, au volant de sa 203 pétaradante et accompagné de mes parents, de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère. Et du pique-nique. Ma préférée était la gravière de Mouchard. Ainsi nommée parce qu’elle se trouvait en contrebas de la voie ferrée qui menait vers la montagne, Mouchard étant la première gare de quelque importance, de l’autre côté de l’immense forêt de Chaux. Qui dit voie ferrée, dit train. Et quand j’étais gosse j’adorais les trains, alors vous pensez bien que j’étais subjugué au passage des express qui montaient vers la Suisse. C’est même bien le seul intérêt que je voyais à la gravière. Parce que me baigner dans l’eau glauque et trouble de la rivière, alors que je ne savais pas nager et que mes pieds glissaient dangereusement sur des galets vaseux qu’on ne voyait pas, ce n’était pas exactement ma tasse de thé. Combien de fois me suis-je retrouvé affalé sur la rive et couvert de boue malodorante. Dans notre langage local (ou peut-être simplement familial) la gravière n’était pas une carrière de graviers, mais simplement une sorte de plage de galets dans un méandre de la rivière. Le seul souvenir plaisant qui me reste de ces baignades, c’est l’odeur. En pensant à cette senteur puissante, j’ai longtemps cru qu’elle était produite par la vase desséchée des rives. Or il n’en est rien. Je sais maintenant que c’était le parfum des vernes (ou des aulnes, c’est la même chose). Un jour mon oncle nous a emmenés plus loin, sur une gravière inconnue. Nous avons pris la grande route jusqu’à Souvans, rendez-vous compte, et nous les gosses, à l’arrière de la DS, nous communiions avec la fierté de mon oncle. Cette fois là, ma mère n’était pas présente, personne ne nous incitait à nous baigner. Au contraire mon oncle disait que la Loue était dangereuse, qu’il y avait des tourbillons. Je ne pense pas que nous étions des gamins dociles, mais ça nous arrangeait bien. Une rivière sans baignade, c’était pour moi une aubaine, en dépit de la chaleur, et un spectacle fascinant. D’autant que l’eau vive m’apparaissait beaucoup plus claire et belle que celle à laquelle nous étions habitués. Nous sommes partis à la recherche de cailloux plats, et mon oncle nous a appris à faire les ricochets. Une affaire de grands. Au retour, alors qu’au loin le soleil se penchait sur la plaine, je me laissais aller à fermer les yeux et à sourire béatement, la tête légèrement penchée vers la vitre grand ouverte où s’engouffrait l’air chargé de la touffeur de la journée et du parfum grisant des vernes. Tout à mon plaisir, j’en oubliais la DS jaune, c’est un comble.

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Commentaires
P
je ne suis pas sur d'avoir beaucoup de photos du genre, faut que je cherche...
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S
C'est le pourquoi de mon envie de Bretagne cette année. J'étais en manque de ces bateaux et de la luminosité bretonne.
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P
c'est marrant, ce que tu dis, parce que pour moi c'est la même chose. Si tu vas en Bretagne il y a de quoi se régaler les yeux : Concarneau, Douarnenez...
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S
Si, j'aime les bateaux de peche...quand je suis sur le quai !
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P
Syl tu n'aimes pas les bateaux ?<br /> Gloria, Missjulie : à vous de raconter vos souvenirs de vieilles bagnoles.
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