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le carnet vert
29 janvier 2006

la presqu'île

Pour M-C

baie1

Il suffirait de presque rien. Peut-être dix années de moins. Un groupe d’une douzaine de stagiaires de l’entreprise serait réuni autour d’une table le temps d’une semaine sous le prétexte de maîtriser de meilleure manière l’expression écrite. Derrière le prétexte de besoins professionnels, ce stage serait en fait un atelier d’écriture où chacun prendrait plaisir à s’exprimer de son mieux.

Je me souviens d’un exercice : il s’agissait d’écrire un texte personnel en s’appuyant sur la description d’une presqu’île faite par Julien Gracq. J’étais assez fier de ma production et, lors de la lecture à voix haute, j’avais obtenu un joli succès auprès du groupe.

Je l’ai gardé, ce texte, et je me disais qu’il serait bien dans ce carnet vert. J’ai ouvert pas mal de dossiers bourrés de feuilles noircies au crayon de papier. Je n’ai pas mis la main dessus. Et je n’ai pas eu une grosse envie de chercher. Peut-être le lirez vous un jour, on ne sait jamais.

Aujourd’hui je n’ai donc plus les mots, mais j’ai la presqu’île.

&&&&&&&&&&&&&&&&&&

Le soleil levant rougeoyait dans le rétroviseur. La voiture blanche filait sur la quatre voies. La fatigue me brûlait les yeux. Parfois je m’assoupissais quelques secondes. Ce n’est pas moi qui conduisais. Une vague crainte me tenait en alerte, je surveillais la trajectoire des autres véhicules ainsi que le débouché des voies adjacentes. C’est idiot je le sais. C’est à cause de cette fâcheuse manie de la presse d’instiller des opinions toutes cousues dans l’esprit des gens, comme par exemple l’idée que dans cette région l’alcool est, plus qu’ailleurs, à l’origine d’un nombre épouvantable d’accidents de la circulation.

Il y eut l’apparition fugitive d’une chapelle en granite et d’un enclos paroissial aux sculptures tarabiscotées. La route sinuait dans les fougères. En dessous de nous, on aurait dit très bas, mais nous savions que ce n’était pas vrai, que la distance était assez courte, la brume noyait la campagne. Nous contournions un sommet d’où s’élançaient les ailes multicolores des parapentes. Nous aurions tout aussi bien nous trouver dans les Vosges, ou en Savoie. Et voila que soudain les limbes se déchiraient et qu’on voyait la mer venir lécher la large courbe sableuse de la baie.

Nous sommes entrés dans un village. Nous avons stationné prés d’une boulangerie. L’heure des croissants était passée. Maintenant les gens venaient prendre le pain du midi. Autour de nous tout était construit de granite et d’ardoise. J’ai composé le numéro de ton portable. Tu viendrais nous chercher.

Tu nous a présenté cette terre comme étant la tienne. Tu sais bien que tu n’auras sans doute jamais les moyens de ce plaisir. Mais tu avais tant de lumière dans les yeux en disant que c’était là que tu voudrais vivre plus tard, quand tu aurais cessé de te lever avant le jour pour aller trimer.

Avec toi nous avons pris possession de la campagne.

Nous étions en août et nous portions des pulls. C’était à cause du vent. Et du manque de sommeil aussi. Nous marchions sur cette petite route, de front, nous nous disions les paroles qu’on se dit dans ces moments là, et je ne sais pas si vraiment nous les entendions. Nous aurions pu tout aussi bien nous taire. C’était à cause du vent, qui emportait nos mots. Tu nous montrais les arbres et les champs et les fougères et les légumes qu’ils font volontiers pousser dans ces coins-là, tu rayonnais, on aurait dit que tu cultivais toi-même les choux-fleurs et les fougères. Le pays était à toi et nous l’aimions. Lorsqu’une voiture se présentait nous nous écartions à regret et je jetais un regard noir à l’intrus qui ainsi violait notre propriété de cette campagne.

Nous entendions le grondement sourd du ressac. Par un sentier escarpé nous sommes descendus sur une toute petite plage. Il fallait connaître : il y avait peu de baigneurs. Et quand je dis des baigneurs, il fallait être fou pour plonger dans un eau certes tentante tant elle était claire, mais qui ne devait pas dépasser de beaucoup les quinze degrés (ben oui, j’y ai mis la main, tout de même). En fait il n’y avait qu’une baigneuse, toi. Parce que tu avais aussi pris possession de la mer. Tu en sortais en riant et tu t’ébrouais sur nous comme si tu avais été un chien fou, et nous frissonnions au contact de ces éclats d’eau froide.

Nous avons mangé des coquillages et bu du muscadet.

Le soir empourprait lentement les choux-fleurs et les fougères et la mer et nous refaisions la même promenade. De loin nous voyions une vaste grève disparaître dans le noir alors que commençaient à scintiller les lumières d’un port.

Le dimanche, le temps s’est couvert, mais il n’a pas plu. Nous avons fait le marché dans un gros bourg traversé de courants d’air et qui se voulait la capitale de la presqu’île.

Plus tard nous avons déambulé dans un grand parc peuplé de toutes les variétés d’hortensias.

A un moment il a été temps pour moi de rentrer. Je vous ai laissées toutes deux profiter encore des embruns pour quelques jours. Lorsque j’ai quitté la presqu’île, avant de sinuer parmi les fougères, j’ai remarqué que des parapentes aux toiles multicolores s’élançaient du sommet de la montagne. Sur la droite, la vue embrassait la large courbe sableuse de la baie.

Peu à peu les nuages se sont dissipés et bientôt le soleil couchant a rougeoyé dans le rétroviseur de la voiture blanche.

baie2

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Commentaires
C
Ah, c'est beau.
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S
:-)
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P
super
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S
Je te tiens au courant, promis !
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P
je vais languir aussi, parce que si l'air océanique t'attire, tu sais que je suis sur le chemin alors une visite s'impose
Répondre
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