terraqué
Son mon écran, un soir, j’ai lu comme ça deux vers d’Eugène Guillevic. Et ça m’a rappelé le temps révolu de la jeunesse, quand je regardais le monde à travers le prisme rutilant de la poésie.
J’ai lu ces deux vers de Guillevic, déposés amicalement sur cet écran. Je ne les ai pas mémorisés. Non. Ils étaient beaux pourtant, à coup sûr. Mais je me suis empressé de les oublier.
Ça n’a pas d’importance. C’était, comment dire, comme un engrais dans ma tête, qui faisait germer des envies d’évasion. Des envies de retrouvailles, aussi, avec les vers d’autrefois enfouis dans l’inertie des étagères qu’on ne regarde plus jamais.
J’ai écarté des bibelots. Ma main gauche a saisi le livre entre la capitale de la douleur et la poésie ininterrompue. Il était tout beau ce livre. Il était propre. Aucune blessure qui laisse penser qu’il a voyagé souvent au fond d’un sac. Il ne demandait qu’à revivre. Terraqué.
Je me suis calé confortablement dans mon fauteuil préféré. Celui qui m’attend près du feu. Avec gourmandise j’ai ouvert le livre. N’importe où. La poésie a ceci de bon qu’elle n’a besoin ni d’ordre ni de chronologie.
J’ai lu des mots.
J’ai survolé quelques pages.
J’ai trouvé entre deux feuillets, en guise de marque page, un billet ou un ticket, je ne sais pas comment dire. Bref un petit bout de papier, du genre des reçus que crachent les distributeurs automatiques de carburants après vous avoir rendu votre carte bleue. Ce petit papier portait des inscriptions en italien, peu lisibles, dans une encre bleue largement effacée. Il m’a semblé que c’était un ticket de transport en commun, bus ou tramway, je ne sais, et qui portait assez distinctement le nom de la ville, Bologna.
Cette ville, j’y étais passé il y a plus de trente ans. Dans des circonstances qui mériteraient d’être tues. Des fois je frémis rétrospectivement rien que d’y penser. Il faut que la jeunesse fasse ses expériences, sans doute. Même si cela se traduit par des conneries sans nom ? Enfin là n’est pas la question pour le moment. De Bologne, ma mémoire n’a pas gardé grand-chose : je revois des murs de brique, des confins urbains poussiéreux où la mauvaise herbe envahissait les trottoirs, la file d’attende d’un restaurant universitaire, et c’est à peu près tout.